Les pensées des masques
2042017
Danse au Mossi (Haute Volta) / Vers 1920
Les Masques en Afrique sont généralement considérés comme des intermédiaires entre les Divinités et les hommes, entre les devanciers et les vivants.
Il est certes des masques de réjouissance, mais, l’essence même du masque de l’Afrique des profondeurs, est d’expression au service des hommes pour l’équilibre et le bonheur avec l’invisible. En ce sens, étant des êtres vivants mais d’une autre nature, ils ont dans beaucoup de milieux africains, leur langage propre.
Dans ce type de civilisation du Masque, celui-ci ne danse pas ; il se déplace, fait des mouvements de toute nature, marque des pas, souvent de rythmes, mais tous ses mouvements sont intelligibles au même titre que les caractères graphiques d’un stylo sur un parchemin, sont intelligibles qui, déchiffrés, décodés, constituent un discours.
Le langage ici, si on prend la civilisation du Mogho revêt deux formes, qui déterminent deux fonds.
Notons tout d’abord que ces genres de masques sont tous funéraires, et ne peuvent donc sortir et s’exprimer qu’à l’occasion de mort.
Pour l’époque de la mort physique (devant les restes du DE CUJUS) les phrases « dansées », les pensées à intéresser le public, portent sur la vie, fondamentalement celle du défunt impliquant celle de toute la société.
Pour l’époque de la mort « rituelle » du défunt qui se situe plusieurs mois ou années plus tard, ce sont surtout des pensées à symboles, sans lien nécessaire avec le défunt mais « dansées » pour conseils au milieu social. Prenons cette forme de pensée du langage des Masques du Mogho :
« Bon yêeng yeela mê
Mam sen wa n puk dunia
Beem bala n dag n be.
Mam bôonsa wêndé
Tib kôn maame nina yiibu
Taoor nif à yembre
Tm gûuns m taoor beeba
Poor nif a yembre
Tm gûuns m poor beeba.
La wennam kôon maame nine a yiibu
N ning gil fâan taoore.
M zoa,
Pind n gies maame poorên !
Fo saa n gies maame taoore,
Ned a to,
N naa n gies beoogo ».
« le lion a dit
Quand je venais au monde,
Il n’y avait que des ennemis,
J’ai demandé à Dieu
De me donner deux yeux ;
Un œil devant,
Pour surveiller mes ennemis de devant,
Un œil derrière,
Pour surveiller mes ennemis de derrière.
Dieu me donna deux yeux,
Mais me les mit tous, devant.
Mon ami,
Regardes moi de derrière !
Si tu me regarde de devant,
Un autre
Me regardera demain. »
Masques de Mossi
Cette pensée « dansée » de masque est une mise en garde devant un ennemi trop puissant et déterminé.
Mieux vaut ne jamais se sentir en face de lui, ou le prendre de face.
La tournure qu’un autre « regardera demain » signifie que le lion dit qu’il tuera celui qui se sera tenu devant lui que s’il y a quelqu’un d’autre demain qui le regarde de face, ce sera forcément une autre personne puisqu’il aura mis à mort la première personne.
Prenons cette autre pensée pour saisine de la forme d’expression du langage des masques toujours dans le contexte du Mogho :
« Kammagê
Kônb ra weongo
Gain kammagê
Salensaas
Lagem koabga
Ka yân
A nêng ye
Ti ba-wagdr
Wa rik
N kul a yiri. »
« un vieil os
Dort dans un champ
De maïs
Des fourmis s’associent
Par centaines
N’arrivent pas
A l’emporter
Un chien voleur
Vient l’emporter
A sa demeure. »
Le langage des masques est abscons, complexe, d’autant plus complexe qu’il ne relève ni de l’écriture, ni de la parole, pour décryptage moins impossible, ni même du tambour qui n’est pas simple ; le discours, le message, la pensée s’expriment pas le geste ; si le sens des « mots » doit encore être figuré, sous d’autres cieux, on invoquait la Croix et la Bannière.
Pour comprendre ce texte « dansé », il faut signaler :
Qu’un os qui dort dans un champ de maïs suppose qu’on s’en est débarrassé ; qu’on l’a jeté ; que dès lors n’importe qui, qui le souhaite peut le prendre et l’emporter.
On constate que des fourmis qui le souhaitent, même associées par centaines n’arrivent pas à le déplacer.
Par contre, un chien que la communauté reconnaît comme voleur vient allègrement l’emporter à sa demeure.
La pensée ici et ainsi signifie que dans la vie d’une Nation, si on prend ce contexte-là pour meilleure saisine,
- la Raison ne suffit pas ; les fourmis avaient raison et avaient leur raison.
- Le Droit ne suffit pas ; les fourmis avaient le droit dans cette situation.
Une force aveugle (le chien voleur) peut avoir raison de tout le monde. Le masque veut dire en conclusion que, si on est citoyen d’une Nation, ou si on est croyant dans une communauté d’hommes, il faut agir ou prier Dieu pour qu’à la tête de la Nation, il n’y ait pas un dictateur ; si un dictateur parvient au sommet du pouvoir, il peut mettre à mort toute une foule de citoyens, tout un groupe d’innocents et rester à ce sommet du pouvoir.
La pensée ici du masque est un message littéraire, politique, philosophie, de droits de l’homme, de sagesse.
Les pensées, tirant racines du langage des Masques sont complexes, mais porteuses d’actions sur le comportement des hommes parce qu’impliquant les morts, à l’époque de la mort, sur la vie des vivants ; leur compréhension par voie et interprétation directe est souvent impossible car, relevant de codes d’initiés et de formations, mais leur valeur est éminente d’autant plus qu’elle peut être universelle.
Ces pensées sont de symboles et d’images ; elles relèvent de rythmes et de mesures car, le masque s’exprime sous des rythmes de tam-tams qui rythment ses « pas » même si, dans le milieu, le masque ne marche pas pour avoir des pas.
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