Chasses de l’Algérie: La Chasse Au Faucon
21012021
La chasse au faucon, en Algérie, est restée l’apanage des grandes familles du pays.
C’est un des principaux reliefs de la véritable aristocratie arabe.
Quelques parvenus ont essayé de se le donner; mais quand on les voit à l’œuvre avec le faucon, on s’aperçoit bien vite que ce noble oiseau ne leur est pas familier, et qu’il est déplacé entre leurs mains.
C’est qu’en effet on ne s’improvise pas maître en fauconnerie; c’est une science qu’il faut avoir longtemps étudiée ou posséder de tradition.
Biskra – chasseur au faucon – Algérie 1900
Les grandes familles de la province d’Alger qui se servent du faucon, et que les indigènes appellent Hell-el-thiour, gens d’oiseaux, sont les suivantes :
Les Oulad-Mokhtar:
Leurs meilleurs fauconniers sont : Mahiddine, Bou-Dissa, Lakhdar.
Les Oulad-Chaïd :
Leurs meilleurs fauconniers sont les fils de Djedid.
Les Oulad-Nayls :
Leurs meilleurs fauconniers sont : Kouider-ben-Legbèche, Telli-ben-Lekhal.
Les Bou-Aïche :
Leurs meilleurs fauconniers sont : Slimen, Abd-el-Selam, Rahmoun.
Les Oulad-Aïssa :
Leurs meilleurs fauconniers sont : Si-Djelloul, Siben-Salem.
Les membres de ces familles djouades (1) chassent de père en fils; ils ont, pour les aider dans le service des faucons, des façons d’écuyers-fauconniers, plus particulièrement chargés de prendre les oiseaux de race, de faire leur éducation, de les nourrir, de les porter et d’aider à leur rappel quand on vole le lièvre ou l’outarde.
Il y a parmi ces gens, que l’on appelle biâzes, oiseleurs, des types d’une grande originalité; le fond de leur caractère est un amour-propre démesuré à l’endroit de leur science en fauconnerie.
Il y a deux sortes de faucons :
Les étrangers,
Les indigènes.
Les premiers sont préférés, ils sont très courageux et chassent aussi facilement la plume que le poil. Les fauconniers du moyen âge les appelaient sors; ils viennent le plus souvent de la Suède, de la Norvège et de la Finlande.
Ce sont des faucons de haut vol, genre gerfaut, avec lesquels on attaquait, au moyen âge, le héron, la grue, l’oie sauvage, etc.
Le faucon indigène de l’Algérie est celui désigné en histoire naturelle sous le nom de lanier. Il est aussi très brave, et de haut vol; l’éducation développe ses qualités naturelles. Pour prendre les faucons, les biâzes se servent de perdrix, de pigeons et de gangas.
Ils enveloppent ces volatiles d’un réseau de lacs et les mettent en vue en plein champ, ou les placent près des endroits où se remisent les oiseaux qu’ils veulent prendre.
Le faucon, en se précipitant sur ce qu’il croit être une proie, se prend les serres dans les lacs disposés à cet effet; il en détermine l’action en cherchant à emporter l’appât qui est attaché à une ficelle fixée à une pierre assez lourde pour ne pas être enlevée.
Le biâze, qui est resté à l’affût, s’approche alors avec précaution, s’empare du faucon, qu’il coiffe tout d’abord d’un chaperon pour lui ôter toute défense.
Il lui met ensuite de petites manchettes en cuir, auxquelles il attache des lanières de six à huit pieds de longueur, rattachées par leur autre extrémité au gant en cuir à la crispin que porte tout fauconnier lorsqu’il a son oiseau sur le poing. : Le dressage de l’oiseau de race se fait à peu près de la même manière qu’il est indiqué dans les anciens « Déduicts de fauconnerie » du roi Modus ou de Gaston Phœbus.
Algérie, la chasse au faucon, cavalier et son aide avec leurs faucons – 1885
Trente ou quarante jours suffisent ordinairement pour amener le faucon à fondre, au milieu des gens et des chevaux, sur les lièvres et les outardes, à les prendre à pleine serre, à les tuer à coups de bec, à obéir au cri de rappel, et enfin à venir se poser sur le leurre quand la proie a été manquée.
Chaque fauconnier élève plusieurs faucons, parmi lesquels il fait un choix des meilleurs. Pendant la période d’éducation des oiseaux, des renseignements sont pris par les fauconniers sur le nombre et le degré de perfection des faucons de tel ou tel djouad. Une grande émulation, des rivalités, s’emparent de leur esprit. Souvent ces rivalités s’établissent entre les membres d’une même famille, il en résulte des défis et des paris sur le plus de force ou de sagacité qui sera déployé par tel ou tel oiseau. On donne aux faucons des noms qui sont presque toujours ceux de leurs maîtres, ou de personnages connus par leur bravoure et leurs prouesses. La saison de chasse une fois terminée, la liberté leur est rendue.
On leur met préalablement, quand ils ont du mérite, une marque à laquelle on puisse les reconnaître plus tard; soit un anneau d’or ou d’argent autour d’une serre, avec un chiffre, ou des pointes de feu à la naissance du bec.
Les faucons indigènes ne s’écartent guère des parages où ils naissent; on les retrouve et on les reprend quelquefois plusieurs années de suite dans les mêmes endroits.
Quand un fauconnier capture un oiseau de race marqué d’un signe autre que le sien, il est tenu de le rendre à son propriétaire, s’il le connaît.
Quelquefois néanmoins, et par exception, des fauconniers gardent d’une année à l’autre des oiseaux tout à fait hors ligne, auxquels ils se sont attachés. La chasse se fait de la fin de novembre à la fin de février.
Pendant ces trois mois d’hiver, l’oiseau de race a toute sa vigueur, ses plumes ont acquis tout leur développement; son appétit,qui est considérable, le stimule encore.
Mais, vers le mois de mars, arrive la saison des amours, qui lui fait abandonner la chasse et son maître , si, à ce moment, on ne lui rend sa liberté.
Quand les oiseaux de race sont dressés, et que le moment de s’en servir est venu, les djouades s’avancent, avec leurs familles, leurs clients, leurs serviteurs et leurs troupeaux, vers le Sahra.
C’est alors une grande joie pour tous, car cette région possède un attrait puissant qui agit sur toutes les organisations et sur tous les âges.
Vieillards, adultes, femmes, enfants, considèrent comme un jour de fête celui où ils quittent les pentes pluvieuses du Tell pour s’enfoncer dans le pays du soleil.
Les animaux eux-mêmes sont accessibles aux charmes de cette transhumance hivernale, qui leur promet un climat plus doux et des pâturages plus précoces.
Quand donc les campements sont établis en plein Sahra, que différentes régions ont été explorées, on commence la chasse, qui s’exerce uniquement sur les lièvres et les outardes.
On ne peut bien chasser au faucon que dans un pays découvert où le gibier, une fois lancé, peut presque toujours se voir, et où le faucon, en fondant sur sa proie, ne court aucun risque de se blesser.
Les immenses plaines du Sud, couvertes d’une végétation d’alfa et d’armoise qui ne forme pas d’obstacles, sont essentiellement propices pour le vol.
C’est vers deux heures de l’après-midi que se fait ordinairement le départ de la chasse, parce que la faim, qui est le principal stimulant des oiseaux de race, ne se prononce que vers ce moment, quand ils ont été repus la veille.
Les réunions pour le vol au faucon se composent presque toujours :
Des djouades ayant leur faucon favori sur le poing;
Des biâzes avec trois ou quatre faucons qu’il portent, un sur le poing gauche, un sur la tête et un sur chaque épaule;
Des parents, étrangers ou invités ;
Enfin, d’un plus ou moins grand nombre de cavaliers et de serviteurs pour traquer et porter le gibier.
Le départ est plein d’entrain. L’Arabe, toujours grave dans tous les actes de sa vie, laisse voir dans ce moment-là une partie de la passion qui l’entraîne.
Il est gai, il rit volontiers, ses gestes sont animés. Il fait caracoler son cheval devant les tentes du douar, où il sait que des yeux le regardent avec des sentiments qui ne sont pas ceux de l’indifférence; il parle à son faucon, lui demande s’il se comportera dignement, s’il y a de lui, aujourd’hui.
Enfin tous se mettent en marche en invoquant le nom de Dieu.
Quand on est arrivé sur le terrain où l’on compte trouver le gibier, on se forme sur une ligne un peu concave, les fauconniers au centre. Tous les assistants sont répartis aux ailes et distancés entre eux de quelques pas.
Au signal du chef qui dirige la chasse, la traque commence.
On marche au pas, on fait du bruit en frappant de l’éperon contre l’étrier et en criant de temps à autre à pleins poumons : haou! haou!
Les traqueurs agitent les pans de leurs burnous comme s’ils chassaient vivement des mouches. Ces gestes effrayent et font lever les lièvres.
On dirige les chevaux sur les touffes les plus épaisses d’alfa ou de chihh (armoise); on fouille celles-ci avec de grands bâtons à l’extrémité desquels est une petite fourche, pour prendre les lièvres au gîte ou les relancer quand ils s’arrêtent effrayés au milieu des traqueurs. Enfin, chacun fait ce qu’il peut pour faire lever ces pauvres lièvres, qu’une sorte d’instinct semble prévenir des dangers qu’ils vont courir, et qui ne débusquent qu’à leur corps défendant. Les faucons sont débarrassés des lanières qui retiennent leurs manchettes en cuir. Ils sont portés sur le poing à la hauteur de l’épaule.
On leur laisse la tête couverte du chaperon; il n’est fait d’exception à cette règle que pour les vieux faucons, bien dressés, qui chassent de l’ail sur le poing de leur maître. Il y a avantage, dans ce cas, à déchaperonner l’oiseau, parce que sa vue est tellement perçante qu’il découvre, bien avant l’homme, le gibier levé. Il fait alors des tentatives pour prendre son vol et attire l’attention du chasseur vers le point où il regarde.
Voilà à peu près tous les préliminaires du vol au faucon; on les a amenés au point où l’action va commencer.
(1) Djouades, noblesse militaire.
Catégories : Coutumes & Traditions