Architecture Berbère – 2ème partie –

14022021

 

 

 

 

 

 

L’architecture civile

 

 

 

 

Nous ne savons rien de ce que furent les demeures de Tâhart, mais des fouilles archéologiques conduites à Sadrata par Blanchet en 1908 puis par Marguerite Van Berchem en 1951-52, nous ont révélé des demeures remarquables influencées apparemment par l’art de Samarra. Les murs étaient partiellement recouverts de parements de stucs, plâtre local chargé de sable, défoncés d’un décor essentiellement géométrique où l’on trouve, entre autres, des figures en forme de rosaces rappelant étrangement parfois les sculptures des coffres kabyles.

 

Mais, dès que l’on évoque l’architecture domestique, c’est vers le Haut Atlas marocain que le regard se porte, vers ces hautes qasba-s de terre rouge avec leurs tours carrées hérissées de merlons en dents de scie, leurs belvédères et leurs décors de chevrons ; architecture de montagne que l’on ne peut s’empêcher de comparer à celle du Yémen (plus particulièrement à celle de Saada et de sa région ou à celle de Shibām (Yémen du sud). On songe également aux qṣûr-s (Ksours) des vallées du Zîz et du Dadès, villages tribaux resserrés entre les hauts murs de remparts solidement construits en pisé rouge, ces tiγrhemt également en pisé de pierraille, aux murs extérieurs défoncés de décors losangés ; avec leurs tours carrées d’angle, à terrasse débordante, et leurs merlons en dents de scie, leurs meurtrières, leurs šubbâk-s (Iglioua Sud, Tamesla des Aït Ouarzazate, Ouled Yahya, Aït Youssef, Imgoum, Aït Ougoudid, etc.). Architecture puissante dont l’originalité est évidente. La couverture est la terrasse de terre battue supportée par des lattis de branchages et de broussailles, parfois de lattes disposées en épi reposant sur des poutres en tronc d’arbre à peine dégrossi. L’un des plus beaux ensembles est sans doute la qaṣba de Ouarzazate. Le matériau est le pisé et la brique crue recouverte d’un enduit de chaux et de plâtre. A la fois résidence princière du Glaoui, elle était un véritable fortin. La qaṣba se hérisse de tours en tronc de pyramide crénelées de merlons, elle s’élève sur trois niveaux, voire davantage. Le mur de façade se défonce d’ouvertures étroites au rez-de-chaussée, véritables meurtrières ; mais, plus haut, on ne craint pas les fenêtres largement ouvertes sur l’extérieur, protégées par des grilles de fer forgé. Les murs s’ornent de défoncements en niches verticales prolongées, au sommet, par des meurtrières. Plus haut, on peut voir un édicule saillant qui permet de surveiller la base de l’édifice et plus particulièrement la porte d’entrée. Au Yémen, de tels édicules saillants sont appelés šubbâk-s. Ces formes proéminentes apparaissent parfois comme de véritables moucharabiés (mašrabiya) ouverts par de larges fenêtres sur l’extérieur et supportés par des jambes de force.

 

 

 

 

 

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Qasba de Ouarzazate (Maroc), photo L. Golvin.

 

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Qasba de Ouarzazate, partie haute (photo L. Golvin).

 

 

 

 

 

Des badigeons de chaux soulignent les parties nobles de la demeure, endroits où réside la famille. Les curieux décors de façade procèdent d’effets de briques disposées en quinconce, ils bordent les grandes fenêtres ou bien ils dessinent des chevrons, des frises à dents d’engrenage, des losanges, des triangles, ils tapissent tout un étage.

 

 

 

 

 

La maison kabyle

 

Son originalité réside surtout dans son mode de couverture qui est à deux pentes et à tuiles demi-rondes. Elle utilise essentiellement la pierre (un moellon dégrossi). Très fruste, elle comporte une seule pièce d’habitation (aguns ou tiγeṛγeṛt) dans le sol de laquelle se creuse le foyer (kanun) et le mortier où se fixe le moulin à bras.

 

Au mur, à gauche de l’entrée, une banquette est adossée, (iqedar)percée de niches où l’on range la vaisselle. En face est un mur de refend, le tadequouant peu élevé et percé d’ouvertures carrées, il supporte un plancher au-dessus duquel se trouve un grenier qui sert également de lieu de couchage et de réserves alimentaires contenues dans des ikufan (sing. akufi*) ; on entrepose là également les instruments aratoires. Sous le plancher se trouve l’étable. Les maisons se resserrent les unes contre les autres sur le point le plus élevé du site (taurirt) selon un plan rayonnant et des assises concentriques (Aït Larba) ou sur un plateau élevé (aguni) où le groupement est plus libre (Beni Yenni).

 

 

 

 

 

La maison aurasienne

 

Elle est en pierres (moellons dégrossis noyés dans un mortier de glaise avec chaînage de boulins horizontaux) ; elle est couverte d’une terrasse en pente, débordant sur les murs : amalgame de pierraille et de glaise tassées, reposant sur des lits de fascines. De gros galets posés aux extrémités de cette couverture la protègent des bourrasques. Sur l’extérieur, les murs sont percés de petites ouvertures triangulaires alignées et de fenêtres carrées, parfois également de lucarnes hexagonales à rayons en pierre taillée en fuseau. On voit encore des ouvertures allongées horizontalement, garnies de pierres en fuseau disposées en zigzag. La porte, épaisse, à panneaux verticaux mal dégrossis, s’orne de décors sculptés : chevrons, hexagones, triangles opposés : la serrure est en bois dur à tirette et à chevillettes. Des piliers en tronc de cèdre, au centre de l’unique pièce, supportent des poutres (troncs d’arbre à peine dégrossis) sur lesquelles s’appuient des solives faites de branches plus petites. Des fascines de branchages y sont couchées. Certaines maisons comportent deux niveaux : le rez-de-chaussée est destiné aux animaux : moutons, chèvres, ânes, l’étage sert d’habitation.

 

 

 

 

 

 

 

La maison de l’Anti-Atlas marocain

 

Dans les tribus Ameln et Ida ou Semlal de l’Anti-Atlas, la maison se nomme tigemmi ; généralement il s’agit d’un bâtiment carré d’un ou deux étages, parfois trois, de forme tronconique, couvert d’une terrasse. Sur l’une des façades, légèrement en saillie, se dresse un porche sur toute la hauteur de l’édifice, sorte de niche à fond plat couronnée d’un arc brisé outrepassé historié d’un décor à registres horizontaux superposés. En bas est la porte (taggurt) à un battant clouté sculpté d’arcades outrepassées et d’un quadrillage ; elle s’orne encore de belles pentures en fer forgé ainsi que de heurtoirs ; la serrure est en bois dur, avec tirette et chevillettes. Au-dessus se répartissent des registres décorés et des ouvertures carrées ; les éléments du décor sont des pierres plates (ikwafaf) scellées de chant et formant des bandeaux de damiers ou de chevrons. Les murs (agrab) sont en moellons (azrû) jointoyés d’un mortier de graviers et de terre grise (akal). Les parois sont nues extérieurement (chez les Ida u Semlal) ou enduits de chaux (chez les Ameln).

 

 

 

 

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Ksour de Tamesla (Maroc), photo L. Golvin.

 

 

 

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Une Qasba à Tilouet (photo H. Terrasse).

 

 

 

A l’extérieur quatre piliers (anebadad) déterminent un puits de lumière et d’aération qui débouche sur la terrasse. De ces piliers partent, vers les murs d’enceinte, des poutres (troncs d’amandiers ou de palmiers) supports des parquets de la terrasse.

 

L’accès à l’étage s’effectue par des plans inclinés. Le rez-de-chaussée est occupé par des écuries (asarag) tandis que l’étage est le lieu d’habitation. Les murs de refend sont en briques crues.

 

Les plafonds se composent de solives parallèles supportées par des madriers transversaux sur lesquels on natte des tiges de laurier rose teintes. Dans un angle de la bâtisse se dresse une sorte de tour en saillie, crénelée de merlons en dents de scie.

 

Ces maisons se resserrent en petites agglomérations (muda’) au pied de hautes falaises.

 

 

 

 

 

 

 

La maison mozabite

 

A Ghardhaïa, la maison (taddert pl. tiddart) se présente extérieurement sous la forme d’une façade nue défoncée de trois ouvertures : la porte (taurt, pl. tiuira) surmontée d’une lucarne (ullun pl. illunen) et d’un trou carré, à gauche de la porte, par lequel on peut actionner la fermeture (serrure en bois dur à tirette et chevillettes manœuvrées à l’aide d’une clef spéciale). L’entrée indirecte (imi) comprend un couloir tournant à angle droit sur le patio (ammas) en partie couvert, ne laissant au centre qu’un carré de ciel fermé d’une grille de fer. Ce patio, où, la plupart du temps, se tiennent les femmes, comporte de nombreuses niches murales carrées, un coin cuisine, surmonté d’étagères superposées (maçonnées) pour le rangement des ustensiles de ménage des produits d’usage courant, un autre coin (tahaja) est occupé par le métier à tisser.

 

Sur ce patio central s’ouvrent, au rez-de-chaussée, plusieurs chambres (tazka, pl. tizkaui) dont l’une, appelée tiziffri ne possède qu’une ouverture béante, elle sert de salle de prière ; les autres pièces sont à usages multiples ; des latrines se trouvent au fond du couloir.

 

Une cave (baju, pl. ibuja), en sous-sol, est en temps normal destinée à la conservation des denrées telles que les dattes, mais elle offre, en été, un abri appréciable contre les fortes chaleurs à ceux dont les occupations ou les ressources ne permettent pas de disposer d’une résidence d’été dans la palmeraie.

 

A l’étage, on trouve une galerie d’arcades sur piliers sur deux côtés, déterminant deux portiques (ikumar). Au centre est le patio supérieur percé d’un trou carré et grillé déjà évoqué. Une chambre ouvre sur le patio, elle est dotée d’un réduit toilette (azru uaman) et bordée de latrines. C’est la chambre d’hôte ; une autre pièce donne sur la galerie ; elle sert souvent de réserve à provisions (h’ujerete).

 

Des rondins de bois saillants servent de porte-manteaux. La porte d’entrée unique, lourde et massive, s’applique dans un cadre à piédroits supportant un linteau soulagé par un arc de décharge. Elle se compose de planches de palmier assemblées, renforcées d’un bandeau horizontal décoré qui supporte un anneau de fer forgé. Une de ces planches verticales forme gond (ided) par deux appendices saillant en haut et en bas. Côté dos, les planches sont maintenues par trois traverses sculptées de petits triangles ; celle du milieu supporte un anneau métallique (tisel-sel) servant à tirer le battant. La fermeture (duart, pl. tidduarin) est en bois dur ; on ne peut l’actionner que de l’intérieur, elle se compose d’un tirant et de chevillettes de bois descendant dans des encoches du pène. On ne peut déverrouiller qu’à l’aide d’une clef spéciale, également en bois, munie de petits tenons.

 

Ces maisons enjambent parfois la rue, se projetant en encorbellements supportés par des consoles maçonnées.

 

 

 

 

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Plan d’une maison de Ghardaïa (relevé J. Echalier).

 

 

 

 

 

 

La maison du Souf

 

La grande originalité de la maison du Souf est son mode de couverture faite de multiples coupoles obtenues par un mortier de gypse local mêlé de sable (tafzna), pétri et transmis de mains en mains par une chaîne d’aides jusqu’au maître d’œuvre. Celui-ci se tient sur un échafaudage en bordure des quatre murs de base préalablement construits et dont les angles ont été coupés par un système de trompes. Un mât, planté provisoirement au centre du carré, un clou fiché au sommet, tenant une ficelle, l’autre extrémité de cette ficelle passant entre le majeur et l’annulaire de la main du mu‛allam, cela donnera, tendu, le rayon d’une demi-sphère, un nœud évitant le glissement entre les doigts du maître-d’œuvre. Son travail consiste à déposer les boulettes de mortier et à lisser de la paume, corde tendue. La coupole est vite montée sans aucun secours de cintrage. Intérieurement, elle est parfaite ; extérieurement, elle présente toutes les aspérités d’un nid d’hirondelles. Un badigeon de plâtre blanc sur l’intérieur achèvera le travail.

 

De plan, la maison s’organise autour d’une cour oblongue, accessible par une entrée en chicane. Les chambres rectangulaires sont généralement recouvertes de deux berceaux (demsa) accolés ; les coupoles (qubba) se dressant aux angles. Souvent, sur le côté sud, on peut voir des arcades formant un galerie appréciable aux heures chaudes de l’été. Mais il est fréquent de trouver, en guise de toiture de ces pièces allongées, des alignements de coupoles : trois, quatre, voire plus. Elle sont édifiées comme il a été dit, c’est-à-dire en divisant, intérieurement, l’espace rectangulaire en carrés par des arcades transversales.

 

Les chambres sont à usages multiples, au nord se tient l’étable abritant la ou les chèvres, l’âne ou le mulet ; la cuisine se fait dans un angle ou au milieu de la cour, mais de préférence sous la galerie. Le mobilier se réduit à des nattes au sol, parfois des tapis et des couvertures de laine. Les murs de pierre à plâtre (rose des sables) sont percés de niches où l’on entrepose la lingerie et les objets d’usage courant.

 

 

 

 

 

 

La maison de Djerba

 

Le menzel djerbien est une sorte de villa isolée dans la palmeraie, ayant parfois une allure militaire avec ses bastions en ghorfa et ses murs épais confortés par des arcs-boutants (adjim).

 

Les pièces se distribuent autour d’une cour carrée ou barlongue, espace presque constamment occupé par les femmes. Sur trois côtés sont des chambres très allongées, le quatrième côté étant réservé aux communs : cuisine, latrines, magasins et entrée indirecte pratiquée souvent à l’intérieur d’une pièce carrée (sqîfa). Les chambres possèdent, à une de leurs extrémités, une banquette surélevée (dukkâna) qui sert de lit ; généralement, cet endroit est coiffé d’une coupole, un arc transversal délimitant l’alcôve et formant ainsi un carré de base. L’une de ces chambres est souvent couverte d’une pièce en étage, carrée, qui sert de poste d’observation ou de lieu de repos du maître, et dont la silhouette trapue, en terrasse, se détache des couvertures en berceaux ou en coupoles. Cette chambre supérieure s’ouvre sur ses quatre faces mais parfois sur deux seulement (sud et est), on appelle ce belvédère kšǔk. Parfois, ces pièces hautes ne sont accessibles que par un escalier extérieur, en façade.

 

Les murs extérieurs offrent quelques rares ouvertures grillées en hauteur. Chaque chambre est pourvue d’un espace toilette et dispose de latrines à proximité. La porte unique est à deux battants massifs, bloquée, à l’intérieur, par un savant verrouillage en bois dur. De l’extérieur, on peut la fermer à l’aide d’une grossière serrure de fer. Les battants sont en palmier refendu (šannǔr).

 

Le mobilier traditionnel consiste en des coussins de laine, des nattes et des tapis et quelques coffres : des cordes d’alfa tendues soutiennent les vêtements. Le matériau de construction est un travertin local, calcaire coquillier de belle couleur orange, friable, liaisonné au mortier de chaux et de sable. A Guellala on fabrique un mortier de chaux et de cendres (provenant des fours de potiers), très solide. Le plâtre est obtenu à partir du gypse des carrières de Beni Diss, ou à partir des concrétions appelées roses des sables trouvées dans l’argile.

 

Les coupoles djerbiennes utilisent presque toujours des poteries spéciales tronconiques dont la petite base est plane tandis que la grande est courbe (tournée vers l’extérieur de la coupole).

 

Une des curiosités de la palmeraie est l’atelier traditionnel de tisserand, grande pièce voûtée en berceau avec frontons triangulaires aux deux extrémités.

 

 

 

 

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Atelier de tisserand à Jerba (photo G. Camps).

 

 

 

 

 

 

Le maison oasienne de Tozeur (Tunisie)

 

Tozeur offre, à coup sûr, une très grande originalité par le décor des façades extérieures des maisons. L’élément constructif exclusif est la brique modelée à la main et cuite au four.

 

Les dispositions générales procèdent, comme ailleurs, à partir d’une cour centrale, lieu de séjour et de distribution des pièces qui l’entourent. Comme ailleurs également, l’entrée (sqifa el-barraniya) est en chicane ; mais, ici, le vestibule-passage est aussi lieu de réunion et il dispose pour cela, face à la porte, de largues banquettes de terre (dukkāna) pratiquées dans des niches verticales en arcades reposant sur des piliers (arṣa) de briques cuites dont l’abaque est en bois d’abricotier.

 

Cette première entrée communique avec une seconde, à angle droit (sqifa al-daẖlaniya) qui ouvre sur le patio où le visiteur est saisi d’emblée par le décor profus des façades, obtenu par effets de briquetage. Ces ornements se trouvent à hauteur d’un second niveau où ils se composent de panneaux et de registres qui ne sont pas sans évoquer des tissages décorés, des tentures d’apparat : alignements de chevrons ou résilles, alignements ou superpositions de carrés sur pointe, de polygones plus complexes, que trouent des ouvertures en archères.

 

 

 

 

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Maison de Tozeur, Tunisie (photo L. Golvin).

 

 

 

 

Au rez-de-chaussée, on trouve, au centre de la cour, une fosse à ordures. Sur un côté, généralement à droite en entrant, sont les dépendances : écuries, latrines, cuisine. Sur les autres côtés s’étendent les chambres rectangulaires parfois très longues (de 12 à 25 m), prolongées d’une alcôve carrée ; l’entrée de cette alcôve est souvent d’une grande beauté avec sa porte en arc de plein cintre flanquée de panneaux de briques appareillées en carrés sur pointe superposés. Au-dessus s’ouvrent deux baies jumelées, en arcs de plein cintre, protégées par des balustrades de bois ouvré. C’est le maẖzen.

 

Dans la pièce principale, des poutres transversales, à diverses hauteurs, et des cordes tendues, servent à étendre le linge ou à suspendre des régimes de dattes tandis que le sol supporte d’énormes poteries modelées, réserves de dattes.

 

L’escalier de la cour conduit à l’étage qui, parfois, comporte une galerie sur l’un de ses côtés, ouverte sur la cour par des arcades sur piliers.

 

On ne distingue aucun accès aux terrasses composées de troncs de palmiers et de stippes de palmes supports d’un damage de pierraille et de terre.

 

Il arrive fréquemment qu’un corps de logis enjambe la ruelle sur laquelle il s’ouvre en fenêtre à jalousie, ornées d’un décor de briquetage au-dessus duquel se projette une gargouille faite d’une branche d’arbre évidée.

 

Étranges en vérité ces belles demeures de Tozeur qui ne sont pas sans rapport avec celles de la Tihama yéménite (Zabid en particulier). Simple coïncidence sans doute.

 

Tout le vocabulaire est arabe, la population étant bédouine mêlé d’un fond berbère, mais on retrouve, dans ces décors géométriques des façades, des compositions qui ne manquent pas d’évoquer les décors des poteries modelées, des tissages berbères, voire des coffres kabyles. Sans doute sont-ils les vestiges d’un art ancestral qui n’a pas oublié son lointain passé, celui-là même déjà évoqué à Sadrata.

 

 

 

 

 

 

 

Référence :

L. Golvin, « Architecture berbère », Encyclopédie berbère [En ligne], 6 | 1989, document A264, mis en ligne le 01 décembre 2012 ICI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Architecture Berbère – 1ère partie –

1012021

 

 

 

 

 

 

 

On ne peut nier l’existence d’une architecture berbère, un art qui présente de multiples facettes qui a pu subir quelques contagions, mais un art qui, des côtes de l’Atlantique à la Libye, affiche sa parenté, celle d’une civilisation que le temps ni les aléas de l’Histoire n’ont pas condamnée ; étonnante pérennité qui a subi, à toutes les époques, l’assaut de l’étranger sans se laisser emporter par le vent de l’Histoire.

 

Cet art ne se manifeste pas par des monuments prestigieux aux imposantes dimensions et au décor somptueux. Il n’utilise pas de matériaux nobles tels que le marbre, la pierre de taille, le bronze, le cuivre, voire l’or ou la céramique émaillée, il n’a ni la puissance des réalisations antiques, ni la hardiesse des cathédrales médiévales. S’il fallait définir en un mot cette architecture, nous dirions qu’elle est essentiellement familiale, ce terme signifiant aussi bien la famille nucléaire que la tribu. Point de réalisations royales qui mettent en œuvre des centaines d’esclaves et qui utilisent les techniques les plus perfectionnées. On utilise le matériau trouvé sur place, la terre, qui, deviendra le pisé, les cailloux, ramassés sur la hamada ou sur les pentes de la montagne, le bois des palmiers, des cèdres ou des pins des forêts du Haut ou du Moyen Atlas. Certes, l’architecture religieuse subi les contraintes imposées par la tradition islamique, mais elle marque son originalité dans des formes très particulières, pratiquement inconnues ailleurs, telles les mosquées du Mzab ou du Sud Algérien ; mais, les réalisations les plus spectaculaires sont sans doute ces grands palais du Haut Atlas marocain ou ces greniers-citadelles des ksours, de l’Aurès ou du Sud Tunisien.

 

 

 

 

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Mosquée et zaouïa à Jerba (photo G. Camps).

 

 

 

 

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Mosquée de Beni Isguen (Mzab) (plan Y. Bonète).

 

 

 

 

 

 

L’art religieux

 

Nous ne retiendrons que les monuments les plus typiques.

 

Les mosquées de Djerba : dispersées dans la palmeraie, les anciennes mosquées de Djerba (ancienneté toute relative) ont subi l’influence de la Libye toute proche ; elles en ont retenu la forme des minarets ronds effilés, peu élevés, coiffés d’un dôme, les salles de prière trapues, couvertes de coupoles, les cours exiguës. Construites en pierre et blanchies à la chaux, elles ne sont sans doute pas vraiment représentatives de l’art berbère ; on y trouve des influences ottomanes certaines, celles surtout des provinces autrefois rattachées à la Sublime Porte et plus précisément celles des villages du Haut-Nil, de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine.

 

 

 

Les mosquées du Mzab : Beaucoup plus étonnantes sont les mosquées du Mzab juchées au sommet de la cité, leur minaret en tronc de pyramide effilé dressé sur le ciel. Le plan complexe de la Grande Mosquée de Ghardaïa atteste de nombreux remaniements et plusieurs agrandissements ; tous les murs sont gauches, probablement en raison de la déclivité du terrain ; les alignements de piliers dans la salle de prière sont très rarement assurés, la cour, réduite et amputée par trois nefs est de guingois ; les piliers sont reliés par des arcades grossièrement façonnées disposées dans le sens nord-sud. Pas de décor. Les matériaux sont le pisé et la brique, la couverture est composée de troncs de palmiers supports de terrasses, mais on rencontre également des voûtes d’arêtes, voire des plafonds de pierres plates. Une section est réservée aux Ikhouān, une autre est destinée aux femmes. Le minaret se trouve en partie dans l’oratoire ; enduite de multiples couches de chaux superposées, la tour se dresse, carrée, s’effilant vers le haut, terminée par quatre pointes angulaires. A ses côtés existe toujours la petite cour en tronc de pyramide, sans doute aussi âgée que la mosquée. Deux miḥrâb-s ouvrent sur la cour… Plus réguliers se présentent les plans des autres mosquées principales de la pentapole : Celui de Beni Isguen, où l’on décèle divers agrandissements, se développe en largeur sur environ 63 mètres et en profondeur sur 26 mètres ; son minaret assez semblable à celui de Ghardaïa se trouve en partie dans l’oratoire, bordé au nord et à l’ouest par une petite cour, les salles d’ablution sont en sous-sol. Plus petites sont les mosquées de Mélika, de Bou Noura, d’El-Atteuf. Outre ces oratoires, il faut mentionner la très belle mosquée dite de Sidi Brahim, aux angles arrondis et aux murs percés de lucarnes et également la mosquée funéraire du cimetière de Beni Izguen avec ses multiples arcades ; puis les oratoires éloignés dans la palmeraie de Beni Izguen ou d’El-Atteuf. Toutes ces curieuses constructions, blanchies à la chaux, avec leurs arrondis, leurs ruptures de volumes, leurs ouvertures distribuées un peu n’importe comment, évoquent une architecture révolutionnaire et l’on a pas manqué d’y voir des créations d’avant-garde du type « Le Corbusier ».

 

 

 

 

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Ghardaïa (Mzab), vue générale (photo L. Golvin).

 

 

 

Dans les confins du Sahara algérien, il faut citer les beaux minarets de terre de Bou Chagroun, dans les Zibans, ceux de Sidi Khalif, de Doucen (Ziban), ce dernier très élevé, et en tronc de pyramide qui évoque celui de terre, aujourd’hui disparu, d’Ouled Djellal, la curieuse tour d’El-Bordj qui, sur une base carrée en briques cuites, possède un fût prismatique prolongé d’un cylindre porteur d’un lanterneau, le minaret de Temmacin, l’un des plus beau du Sud Algérien offre une tour carrée construite en briques appareillées en réseaux losangés apparemment inspirés par le Maroc.

 

On doit également citer les mosquées du Souf aux multiples coupoles grises boursouflées, semblables à des nids d’hirondelles, ou lisses et blanchies à la chaux, leurs tours peu élevées, carrées, leurs cours étroites où les élèves se groupaient autour du mu‛allem, à l’ombre du minaret, aux heures chaudes de l’été.

 

A Melika, on notera les étranges tombeaux de Sidi Aïssa dressant sur le ciel des espèces de cierges arrondis enduits de multiples couches de chaux et, à Metlili des Chaamba, de pittoresques coupoles à pinacles.

 

Cette architecture religieuse n’a nulle part son équivalent en pays arabe et, si l’on veut, çà et là, déceler des emprunts à des types connus au Maghrib, elle a suffisamment de caractère pour se distinguer nettement de l’art dit arabe, celui de l’Ifrîqiya influencé par l’Orient ou celui du Maghrib al-Aqṣâ marqué par l’art de l’Espagne musulmane. Il est à noter que les grandes dynasties berbères qui régnèrent sur l’Afrique du Nord, Zîrides, Ḥammādides, Almoravides, Almohades, Ḥafṣides, Marinides et Abd al-Wādides, ont adopté d’emblée et sans exception l’art de l’Orient ou celui de l’Occident hispano-musulman, tandis que se perpétuait, au Sahara, une architecture religieuse rurale sans doute définie dès le haut Moyen Age.

 

 

 

 

 

Référence :

L. Golvin, « Architecture berbère », Encyclopédie berbère [En ligne], 6 | 1989, document A264, mis en ligne le 01 décembre 2012 ICI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




La Brique dans l’Architecture Préromane et l’Architecture Hispano-Musulmane

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l’Espagne Médiévale XIIe-XVe siècle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Domaine Wisigothique

 

Quelques édifices, rattachés à la domination par les Wisigoths d’une partie de la Péninsule au VIIe siècle, laissent apparaître en emploi très ponctuel de la brique; tellement ponctuel, que l’on pouvait à juste titre s’interroger sur l’authenticité du couvrement de la nef de San Pedro de la Nave (Zamora) ou de celui de la croisée de Santa Comba de Bande (Orense); s’agit-il, comme c’est le cas au baptistère d’Egara (Tarrasa, Barcelone), de restaurations difficiles par ailleurs à dater? Cela est possible. Le doute subsiste néanmoins. On pouvait envisager ici, comme pour la tombe wisigothique remontée au musée archéologique de Tolède, le remploi de briques romaines. La dimension ou le type des éléments mis en œuvre le suggère dans tous les cas et l’on imagine mal par ailleurs la construction de fours destinés à une production d’une si petite quantité de briques. Il semble cependant que, pour Santa Comba de Bande au moins, le doute ne soit plus permis depuis que toutes les voûtes accessibles ont été datées par thermoluminescence de la deuxième moitié du VIIe siècle.

 

 

 

 

La Brique dans l’Architecture Préromane et l’Architecture Hispano-Musulmane  dans Architecture & Urbanisme 201018093345203583

Église de San Pedro de la Nave (Zamora)

 

 

 

 

 

Le Domaine Asturien

 

Dans les Asturies, jusqu’au XIIe siècle, la brique n’apparaît que très ponctuellement associée à l’architecture. Quelles que soient les lacunes de notre documentation, il apparaît que l’emploi du matériau est extrêmement limité. On trouve en effet des briques associées à des édifices préromans dans le Nord de l’Espagne, autour d’Oviedo. Les églises de la capitale et celles de Naranco, mais aussi celles des centres secondaires, témoignent du fait qu’aux IXe et Xe siècle la taille des claveaux et des douelles ne posait aucun problème aux ouvriers employés sur les chantiers royaux. Établir un arc sur des cintres est relativement plus aisé lorsqu’on dispose d’éléments faible dimension que lorsqu’il s’agit d’ajuster précautionneusement de lourdes pierres préalablement assemblées au sol. Mais la cuisson des quelques centaine ou quelques milliers de briques employées dans chacun de ces édifices représentait, n’en doutons pas, un investissement disproportionné par rapport aux avantages matériels que l’on pouvait retirer de leur mise en œuvre.

 

 

 

 

 

 

Le Domaine Mozarabe

 

Dans les édifices dits mozarabes, la brique apparaît employée de manière extrêmement ponctuelle et sans que l’on puisse toujours être assuré de son âge véritable. On peut néanmoins citer les arcs outrepassés et les motifs en arêtes de poisson visibles au-dessus de l’arc-triomphal de San Cebrián de Mazote, les parties hautes des murs de la nef de San Miguel de la Escalada, ou à l’extérieur du chevet préroman de Valéranica.

 

 

 

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Église San Miguel de Escalada

 

 

 

 

 

Le Domaine Émiral et Califal

 

À partir de 711, la Péninsule fut soumise au pouvoir politique des musulmans, Arabes et Berbères. Les polémiques suscitées par des prises de position parfois excessives sur l’importance et la nature des populations musulmanes qui s’installèrent par vagues successives sur le territoire de la Péninsule sont loin d’être éteintes et seule une approche «régionalisée» de ce problème pourrait permettre de proposer des réponses satisfaisantes. Si l’on admet la position défendue par P. Guichard et A. Bazzana, on constate que l’Espagne orientale fut très largement peuplée de Berbères. Cette colonisation amena des bouleversements profonds des liens sociaux et des structures de peuplement. On ne peut que constater la quasi-inexistence de constructions de briques dans ces régions fortement berbérisées.

 

Dans le domaine d’al-Andalus, la brique est associée dans un premier temps à des équipements hydrauliques (Madinat al-Zahra, Cordoue). Il est possible que son emploi ait été relativement fréquent dans le couvrement des bains (Jaén). dans l’un et l’autre cas, les considérations techniques sont à l’origine du choix opéré par les constructeurs.

 

À Cordoue, la brique est mise en valeur dans les constructions califales de manière purement décorative. Il semble vraisemblablement que la brique califale, lorsqu’elle manifeste sa présence dans les constructions, puisse être expliquée par les mêmes raisonnements que ceux qui justifient les spolia. L’extraordinaire raffinement qui a présidé à la sélection et à la mise en place des chapiteaux remployés dans la salle de prière de la mosquée de Cordoue permet de considérer que les motivations esthétiques et idéologiques furent déterminantes également dans l’emploi d la brique.

 

Ce n’est qu’au tournant de l’an mil, dans la petite mosquée de Bab Mardoum à Tolède, que le matériau est utilisé, de manière encore essentiellement décorative, en élévation. Pour la première fois, un tapis de brique est ainsi tendu à l’avant d’un bâtiment construit en pierre et béton avant même que ne soit banalisé l’emploi du matériau par le recours à l’«appareil tolédan» dans les décennies qui ont précédé la conquête de l’ancienne capitale des rois wisigoths par Alphonse VI.

 

 

 

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Mosquée de Bab Mardum – Tolède

 

 

 

 

La brique fait son apparition timide au même moment dans les capitales des taifas qui se partagent l’ancien territoire du califat de Cordoue: à Saragosse, Séville, Málaga, Jaén, Grenade, on la trouve associée à la pierre et au béton dans les vestiges des constructions attribuées aux gouverneurs de ces «principautés féodales à turbans». Nulle part cependant elle ne semble avoir constitué le matériau du gros-oeuvre et son emploi est limité aux arcs, aux voûtes et parfois au chaînage des murs de béton.

 

 

 

 

 

 

Le Domaine Almohade

 

Le XIIIe siècle est marqué par un certain essor de la construction de brique: incontestable dans l’Espagne musulmane, il est tout aussi évident dans les territoires reconquis par les chrétiens.

 

L’architecture hispano-musulmane du XIIIe siècle peut être qualifiée du terme commode d’almohade, du nom donné à la dynastie berbère qui, après les Almoravides (1019-11170) occupa des portions de plus en plus réduites de l’Espagne méridionale, jusqu’au repli ultime des Nasrides dans le royaume de Grenade après la reconquête de Séville par Saint Ferdinand en 1248.

 

L’architecture almohade d’Espagne est caractérisée par un recours fréquent à la brique. La Giralda de Séville et le petit minaret de Cuatrovitas, à Bollullos de la Mitación (Séville) sont deux monuments qui traduisent l’essor de la construction de brique. Santa María de la Granada de Niebla (Huelva) et bien des substructions d’églises reconstruites sur des mosquées confirment l’utilisation abondante de la brique dans l’architecture almohade. Il n’en reste pas moins vrai que les deux tours «sœurs» de la Giralda construites dans domaine almohade, la Koutoubiya de Marrakech et la tour Hassan de Rabat, sont construites l’une en maçonnerie de moellons, l’autre en pierre de taille. Par ailleurs, les minarets de Séville et de Bollullos de la Mitación cités plus haut ne doivent pas constituer un leurre destiné à attribuer aux Almohades un rôle déterminant dans l’histoire de la brique dans la Péninsule: le matériau de base de la construction almohade reste le béton ou la maçonnerie de moellons qui constitue le gros-oeuvre de tous les éléments de fortification conservés à Séville, Badajoz, etc. La brique, lorsqu’elle apparaît dans les constructions militaires almohades, est limitée è des arases, parfois à des chaînes dans les maçonneries murales et plus fréquemment à la construction des arcs et des voûtes. Les mosquées ont presque toujours disparu. Lorsque les éléments en subsistent dans les églises chrétiennes qui leur ont succédé (Almería, Niebla [Huelva], Carmona [Séville]), ils sont parfois en brique, mais le plus souvent en pierre ou en béton. Quant aux palais, il est difficile d’aller au-delà d’une évocation très subjective de ce qu’ils pouvaient être. Il y a tout lieu de penser que lorsque la brique était employée dans leur construction, son usage était cantonné à l’établissement des arcs, des voûtes des bains ou des encadrements de baies. L’enduit de plâtre et de chaux devait, si l’on juge par les quelques vestiges sévillans, la masquer totalement.

 

 

 

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Minaret de la Mosquée Cuatrovitas

 

 

 

 

 

 

Le Domaine Nasride

 

Techniquement, l’architecture nasride s’inscrit dans le droit fit de l’architecture almohade; à cet égard, les minarets de la région comprise entre Antequera et Málaga (province de Málaga) méritent une attention particulière. Capitale du dernier royaume musulman de la Péninsule durant deux cent cinquante ans, Grenade présente, notamment sur l’Alhambra, toute une série de constructions dans lesquelles les possibilités techniques offertes par la brique sont exploitées avec sagesse et modération. Mais là encore, le matériau est masqué par les stucs et les céramiques: ce n’est pas la brique qui, dans l’architecture nasride, a séduit les princes chrétiens, mais au contraire tout le décor mis en œuvre pour la rendre invisible: la façade du palais de Pierre Ier de Castille à Séville et celle du palais-couvent de Tordesillas, qui exaltent dans le plus pur style nasride les vertus décoratives de la pierre, du bois et de la céramique, en font une démonstration éclatante.

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Le «château» en al-Andalus : un problème de terminologie

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Dalliere-Benelhadj Valérie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un des obstacles les plus importants à l’analyse de l’habitat fortifié en al-Andalus est celui du vocabulaire. D’une chronique à une description, des termes comme hisn, qasaba, ribât ou qal’a changent de sens au gré de l’origine, de l’époque et des sources de ceux qui les emploient. Notre tâche sera précisément de dessiner les contours de l’objet qui se cache derrière ces mots, en faisant le moins possible appel à des notions supposées équivalentes en Occident européen, telles que «château-fort», «citadelle», … lesquelles seraient forcément inadéquates parce qu’appartenant à des ordres sociaux et culturels différents.

 

Cette courte étude s’appuie essentiellement sur le 5ème tome du Muqtabas d’Ibn Hayyân : cet auteur andalou (988-1076) est presque contemporain des événements qu’il raconte ; il cite souvent les noms d’auteurs qu’il met à contribution et utilise un matériel documentaire très riche : tels sont les éléments qui ont désigné son œuvre comme base du présent travail (1). Plusieurs compilations ont été également utilisées ainsi que, parmi les textes les plus tardifs, le Bayân al-Mugrib d’Ibn ‘Idârî, et le Rawd al-Mi’tar d’al-Himyarî .

 

Al-hisn, communément traduit par «château», est un terme générique désignant tout ouvrage architectural servant à défendre une portion de territoire quelles que soient sa fonction habituelle et sa taille. C’est ainsi que l’on peut dire : «Ils démolirent le hisn de la citadelle (qal’a) voisine», phrase qui ne voudrait rien dire si l’on traduisait hisn par «château». Utilisé dans un autre sens, le mot hisn ne désigne pas, à Bashtana, un «château», mais plutôt une simple enceinte renfermant un point d’eau et servant de refuge aux habitants de la région. Ce même mot est employé à propos des machines de guerre que le calife fait construire pour surveiller un château ennemi ou lors d’un siège de longue durée. Simples campements de bois, un peu à la manière des camps romains ; ces constructions pouvaient, le cas échéant, se développer en une véritable ville : telles furent les modestes origines de Taldjayra.

 

Ce que protégeait un hisn était en généralement une ville ou un endroit stratégique ; ce pouvait être aussi un site économiquement important, comme à Ovejo (Hisn Ubal), qui renferme une mine de mercure ou à Almada (Hisn al-Ma’dîn), où l’on faisait de l’orpaillage. La fonction économique (et militaire) prime encore quand le hisn est situé au confluent de deux fleuves ou qu’il protège une voie de communication importante, comme Hisn al-Djash, qui protège l’accès à Bobastro .

 

Si le substantif a une portée très générale, le verbe hassana, qui est construit sur la même racine, signifie «fortifier» : construire une enceinte (le plus souvent), mais aussi «garnir de soldats».

 

Le hisn peut désigner une ville entière mais c’est alors pour en souligner l’aspect défensif, comme l’indiquent certains passages où l’on voit une ville être transformée en hisn, ou le contraire. Cependant, ce terme ne désigne jamais un édifice fortifié intégré au tissu urbain : ainsi il n’est jamais confondu avec qasaba, du moins chez Ibn Hayyan. Terme militaire, hisn s’oppose à qarya, qui est plutôt une désignation d’ordre économique (une sorte d’unité agricole) dont les habitants sont toujours al-’imara, alors que la population d’un hisn est généralement désignée par l’expression ahl al-hisn, de portée beaucoup plus vague. La destruction d’un qarya est toujours accompagnée de celle de ses récoltes, de ses arbres, etc., qui n’est jamais mentionnée pour un hisn/château et rarement pour une ville. Hisn et ma’qil sont par ailleurs à peu près synonymes, encore que le second, conformément à son étymologie, évoque davantage l’idée de refuge perché.

 

 

 

Le terme qal’a, apparenté par le sens aux précédents, pose moins de problèmes : il est d’un usage moins fréquent parce que plus spécialisé et désigne une forteresse de grande taille, particulièrement inaccessible, c’est une ville, mais où la fonction militaire prime sur la fonction économique ou culturelle. Elle n’est donc pas réservée à une population militaire, mais se trouve toujours en des points stratégiques : Calatrava (Qal’a Rabah) jalonne la route Cordoue-Tolède et sert de base pour surveiller cette dernière ville ; Qal’a Khatîfa protège un des points de la frontière du nord, de même que Calatayud (Qal’a Ayyûb), Arnedo, etc.

 

Si qal’a et madîna sont parfois confondues (ce qui est fréquent à propos des villes qui viennent d’être citées), le récit de la création (ou de la restauration) de Qal’a Khalifa et Madîna Saktân est assez instructif quant à une comparaison entre les deux termes ; renforcer les fortifications, entasser des réserves de vivres et de munitions, installer des soldats : la seule différence notable entre les deux opérations réside dans le fait que la qal’a n’abrite , momentanément, que des soldats, tandis que la ville est le théâtre d’un déplacement de population autoritaire. Et d’autres passages montrent que, à une époque où l’habitat fortifié tend à devenir la norme (j’entends par «fortification», au minimum, la présence d’un mur ou d’un fossé), la création d’un marché et l’installation d’artisans est une des caractéristiques qui distinguent la ville (madîna).

 

 

 

 

 

Le «château» en al-Andalus : un problème de terminologie dans Architecture & Urbanisme 200625122356120813

Qal’a Ayyûb

 

 

 

 

 

 

Enfin, pour désigner des constructions de plus petites dimensions, nous trouvons encore deux termes : as-sakhra et al-burdj.

 

As-sakhra, qui, à l’origine, signifie «rocher», devient, en termes de fortifications, une sorte de redoute, un réduit défensif : c’est la plus petite unité fortifiée qui existe : cf. le commentaire d’Ibn Hayyân sur l’expédition de Pampelune, en 312 H. (924-925 M.) : «Ils détruisirent les châteaux (husûn) des infidèles qui se trouvaient dans cette région jusqu’à ce qu’il ne reste plus une seule sakhra debout» (p. 191).

 

C’est un édifice qui se rencontre toujours en zone montagneuse, au sommet d’un piton rocheux, et qui sert d’abri temporaire ou saisonnier à une garnison chargée de surveiller un point précis : une route, par exemple celle qui mène à Bobastro ou une ville comme Belda où al-Nâsir fit construire ou renforcer en 306 H./918-919 M., trois sakhra/s pour l’assiéger. Au château d’Unûh Qasbtîl, c’est une sakhra voisine qui sert de refuge à la population chrétienne menacée par al-Nâsir en 325 H. (p. 400) et l’auteur prend la peine de préciser qu’il s’agit d’un édifice séparé du corps du hisn, contrairement à la qasaba, qui fait office de refuge en pareil cas, mais se trouve, elle, toujours à l’intérieur d’un hisn.

 

Le même mot se retrouve, sous une forme figée, dans divers toponymes sous une forme presque totalement dénotée : dans Sakhra al-Qays, dans As-Sukhûr ou dans As-Sukhayra . M. F. Hernandez-Jimenez pense le retrouver, traduit par «pena» ou «penna» dans divers toponymes contemporains : si l’on se réfère au Glossaire du Cange, on voit que le mot a effectivement subi la même évolution que sakhra: de «roc» il prend le sens de citadelle ; néanmoins ce glissement de sens n’a pas été retenu par les dictionnaires modernes.

 

Beaucoup moins fréquent encore est l’emploi de burdj qui est bien une «tour carrée ou ronde attenante à un rempart… et servant de bastion ou de donjon»: quand il s’agit d’une tour isolée, on lui préfère généralement les termes de sakhra ou de qasaba, suivant la fonction de l’ouvrage.

 

Traitons maintenant de l’habitat fortifié urbain. La ville, qui peut, globalement, être désignée comme qal’a ou comme hisn, peut elle-même comprendre deux types de constructions défensives : al-qasr et al-qasaba.

 

Al-Qasr représente une demeure fortifiée à l’usage d’une garnison plus ou moins importante et du gouverneur de la ville ainsi que, à Cordoue à l’émir et à sa famille (d’où vient que, dans les textes plus tardifs, on confondra parfois qasr et munia, qui est plutôt un palais, une résidence d’agrément. C’est ainsi qu’à Seville, al-Nâsir bâtit «l’ancien alcazar appelé Dar al-Imâra». A Tolède, al-qasr, où résidait le représentant de l’émir, était le premier objectif des révoltés ; construit par ‘Amrûs b. Yûsuf en 191 H./806-807 M. , il fut détruit par les Tolédans trente ans plus tard puis reconstruit par al-Nâsir en 320 H./932-933 M. Il se trouvait commander les entrées et les sorties de la ville (à la différence d’une qasaba qui, tout en pouvant également servir de résidence officielle, n’était cependant jamais située en bordure de la ville). On peut également citer l’exemple d’Ecija dont les murailles furent détruites en 300 H./912-913 M., à l’exception du qasr, qui devait servir aux gouverneurs et aux chefs d’armée.

 

Le mot qasr viendrait de castillo, diminutif du latin «castrum» pour donner «forteresse» ou «palais fortifié». Toujours construit à l’intérieur d’une ville, il peut être assez vaste pour contenir les sépultures de tous les émirs umayyades; la seule ville de Cordoue en comptait plusieurs, car chacun des fils du calife al-Nâsir en était pourvu et un qasr pouvait servir de résidence à un hôte de passage. Quatre exemples de qasr/s isolés ne contredisent pas ce qui est dit plus haut : il s’agit de toponymes pré-arabes commençant par un «castellum» latin ou son équivalent en romance, et qui furent ensuite traduits en arabe, comme cela arrivait fréquemment.

 

Un dernier terme enfin, le plus connu, désigne le cœur fortifié de la ville oud’un «château» : al-qasaba, que l’on traduit souvent par «citadelle». Il peut d’ailleurs y en avoir deux dans la même ville, comme à Torrox, Dos Amantes ou Hisn Shâtt.

 

Il s’agit d’un édifice ou d’un quartier situé sur la partie haute de la ville, ou au centre d’un hisn de petite taille ; la qasaba est entourée d’un ou plusieurs murs de pierre et protégée, en outre, par les avantages du terrain (2) : ainsi le comprenaient les auteurs arabes dans l’Occident médiéval, et il a gardé le même sens en espagnol moderne sous la forme alcazaba. La qasaba d’un château peut être considérée comme l’équivalent d’un donjon : même fonction de refuge, de dépôt de vivres et de munitions. Si la qasaba se trouve au centre d’une ville, elle peut également servir de caserne pour le gouverneur et être suffisamment vaste pour contenir une mosquée, comme à Malaga.

 

Au sens figuré, la qasaba devient le cœur, le centre vital, la capitale même d’une région : on parle de qasaba kûra Rayyu, qasaba al-andalus.

 

Si ce rapide exposé nous permet de dégager quelques grands types de «châteaux», selon leurs dimensions, leurs fonctions, leur situation… beaucoup d’éléments manquent encore, non seulement à propos de ces caractéristiques elles mêmes, mais surtout en ce qui concerne les structures sociales qu’ils «ponctuent».

 

 

Seuls quelques éléments se dégagent avec certitude :

 

 

1. Un même individu peut posséder plusieurs hisn/ s. Cette possession n’est régie par aucun droit écrit, mais elle est pleine et entière, c’est-à-dire que son occupant peut en modifier l’architecture à son gré, y installer des troupes sous son commandement et y entreposer armes et nourriture. Ce type de possession dure jusqu’à ce qu’un autre individu le remplace ou lui impose obéissance, à la faveur d’un rapport de force favorable. Certains hisn/ s sont transmissibles de génération en génération comme ceux des Banû Di an-Nûn.

 

 

2. Se retrancher dans un hisn, fortifier un site, c’est projeter dans l’espace le fait de détenir le pouvoir (al-mulk) comme l’indique explicitement ce passage où Ibn Hayyân parle des «husûn qui soutenaient le pouvoir de Umar b. Hafsûn». La construction d’une fortification est alors la première manifestation de la révolte. De là «faire descendre» (d’une hauteur fortifiée) (istanzala) devient synonyme de «réduire à l’obéissance», et «descendre» (nazala) équivaut à se «se rendre». L’idée est nette dans des phrases du type : «II en destitua (istanzala) nombre de ceux qui s’y étaient approprié le pouvoir par vanité» .

 

 

3. Les hisn/s sont rarement isolés les uns des autres. Ils sont organisés en des sortes de ligues (contre le gouvernement central ou ses représentants) ou en lignes défensives (par le gouvernement central, pour protéger la zone frontière, assiéger une ville insoumise, …). Ces groupements sont désignés par le nom du plus important d’entre eux (ex. husûn Bobashtru) ou par celui de leur détenteur (husûn Banî Hudayl). D’autres indices témoignent de l’existence de ces groupes : les expressions indiquant littéralement une union, un nom unique pour désigner un ensemble, comme les husûn al-Bushârat, le fait que le gouvernement d’une ville comprenne également la gestion des hisn/s qui l’entourent, comme à Saragosse ou à Bobastro.

 

 

4.Un hisn est le centre —géographique ou politique— d’un territoire qu’il commande, protège et avec les autres hisn/s duquel il entretient une relation de domination, sans que l’ensemble soit hiérarchisé en une structure apparentée au féodalisme : il s’agit d’un rapport de force dépendant d’éléments naturels (site escarpé, présence d’une mine, passage sur un fleuve, …) et institutionnels (lieu où réside le gouverneur, puissance personnelle du détenteur du hisn, …).

D’autres textes permettront certainement de compléter ces remarques, et surtout ceux qui concerne le IXème siècle, l’époque de la première fitna et qui pourrait avoir connu ce que l’on a appelé, à propos d’autres régions, une «révolution castrale».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1): IBN HAYYAN, al-Muqtabas (T.V.), éd. P. Chalmeta, Madrid, Instituto Hispano-Arabe de Cultura, 1979.

 

(2): Toutes les enceintes n’étaient pas de pierre ; le fait que le chroniqueur précise ce détail, quand il a lieu, doit être un indice de sa rareté. D’autres signes laissent encore supposer une large utilisation du bois : l’abondance des forêts en al-Andalus (qui exportait du bois) attestée par tous les géographes ; la liste des ouvriers «prêtés» par al-Nâsir à Mûsâ b. Abî-l-’Afiyya en 324 H., et qui ne comprend aucun spécialiste du travail de la pierre, bien qu’il s’agisse de construire des hisn/s : cf. Muqtabas, p. 388 ;et surtout, la rapidité d’exécution et de démolition des constructions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Naissance de l’Architecture Soviétique (1917-1923)

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Au soir du 25 octobre (7 novembre) 1917, à 21 h 40, les habitants de la ville de Petrograd (nom sous lequel avait été rebaptisé Saint-Pétersbourg lorsque la Première Guerre mondiale avait éclaté) entendirent un coup de canon tiré par le croiseur Avrora; ce coup de semonce annonçait le début de l’attaque du Palais d’Hiver par les troupes révolutionnaires. Le palais devait tomber la nuit même, et le gouvernement provisoire bourgeois qui avait été formé en février de la même année à la suite du renversement du tsar était déposé. L’action dirigée par Vladimir Lénine avait remporté la victoire, et la révolution socialiste triomphait. Quelques jours lus tard, à l’issue de combats acharnés, le pouvoir soviétique s’imposait à Moscou et se mettait à rayonner à travers toute la Russie. Le 11 mars 1918, le gouvernement soviétique, conduit par Lénine, quitta Petrograd pour Moscou qui redevenait la capitale de l’État.

 

Le pays dut encore souffrir pendant des années les affres d’une guerre civile tenace et violente. Cependant, les premiers mois qui suivirent la Révolution d’Octobre virent la promulgation d’actes législatifs qui devaient avoir une importance considérable pour les activités architecturales, à savoir le décret «Sur la socialisation de la terre» (9 février 1918) et celui concernant l’«Abrogation du droit à la propriété privée de biens immobiliers dans les villes» (20 août 1918). Par le fait qu’ils supprimaient la contradiction existant jusqu’alors entre, d’une part, la nécessaire et indivisible intégralité des villes en tant qu’organismes sociaux et, d’autre part, leur fragmentation en biens immobiliers possédés par des particuliers, ces décrets ouvraient de véritables perspectives pour le développement des villes en systèmes harmonieux.

 

 

La structure sociale du peuplement urbain subit une modification fondamentale. La remise à la municipalité du parc de logements permettait leur juste redistribution. L’espace habitable lorsqu’il dépassait notoirement les besoins raisonnables fut réquisitionné et l’on mit en œuvre un vaste programme de relogement des travailleurs qui, jusque-là, habitaient des casernes, des sous-sols ou des baraquements rudimentaires. En 1924, on avait ainsi relogé près de 500 000 personnes à Moscou seulement, et 300 000 à Petrograd. Ce programme ne faisait pas que résoudre les problèmes les plus graves en matière de logement; le déplacement des familles ouvrières de leurs ghettos des faubourgs vers le centre des villes tendait à rendre moins criarde la différence qui existait entre ce centre – jusqu’alors citadelle de la classe dirigeante – et les faubourgs. L’intégrité du tissu urbain était ainsi favorisée par une homogénéité sociale croissante.

 

 

Par ce processus, de nouvelles formes de vie communautaire s’affirmaient; les ouvriers s’installaient dans les immeubles de rapport et créaient des sortes de «communes» où ils organisaient des cuisines collectives, des cantines, des buanderies, des jardins d’enfants, des salles de lecture, toutes choses basées sur le self-service et l’autogestion. Cette nouvelle forme d’habitat communautaire se multiplia rapidement, si bien que fin 1921 on en comptait déjà 865 rien qu’à Moscou. Cependant, son développement était handicapé par la division traditionnelle des habitations en appartements isolés. Ainsi se posa un problème social totalement nouveau.

 

 

Dès 1919 et 1920, les architectes soviétiques tentèrent pour la première fois de créer de nouveaux types d’habitats communautaires. À Petrograd, ils dessinèrent les plans d’habitations pour les travailleurs de Yaroslavl; dans ces habitations à dortoirs, c’étaient les salles de services qui constituaient le noyau du bâtiment. Du fait de l’austérité qui régnait alors, les premières propositions étaient forcément très modérées; cependant, le contenu social du programme fut comme une avant-première indispensable pour les expériences qui devaient être lancées dans la seconde moitié des années 20.

 

La guerre civile au cours de laquelle le jeune État soviétique devait faire face à la fois aux contre-révolutionnaires et aux interventions étrangères n’était pas le bon moment pour un effort de construction à grande échelle. Bien qu’au cours de ces années on ait construit quelques centrales électriques importantes et plus de 270 petites centrales électriques rurales, un certain nombre d’usines textiles et une usine automobile à Moscou, les programmes de construction étaient peu nombreux par rapport aux besoins d’un pays aussi immense. Mais en dépit de la récession forcée de l’activité du bâtiment, malgré la famine et les difficultés de ces dures années de guerre, les architectes se lancèrent avec enthousiasme dans un intense travail d’étude. La plupart d’entre eux avaient opté sans réserves pour la révolution, en raison même du contenu social de leur effort de création. Le manque de réalisations pratiques fut plus que compensé par l’essor extraordinaire de la recherche expérimentale.

 

 

Dans ces exercices «sur le papier» axés sur le futur furent mis à l’étude les moyens de faire face aux tâches d’une société nouvelle, un nouveau langage de l’expression artistique et de nouvelles idées plastiques. L’accession à une expression architecturale concentrée des modifications sociales réelles était perçue comme une tâche véritablement prioritaire, ce qui impliquait la mise au point de nouvelles métaphores, de nouveaux symboles qui seraient compris par tous. Quoique ces idées soient restées du domaine de la théorie, leur impact ultérieur a déterminé en grande partie l’évolution de l’architecture soviétique au cours des années suivantes et s’est également concrétisé dans bon nombre de réalisations de la seconde moitié des années 20. La moisson d’idées neuves accumulée lors des premières années de l’ère soviétique n’a donc rien perdu de sa valeur aujourd’hui, que ce soit en termes d’histoire de l’architecture ou d’applications pratiques.

 

 

Ces projets expérimentaux revoyaient les stéréotypes traditionnels d’une manière libre et objective, et une nouvelle éthique professionnelle se dégageait du processus. L’architecte ne considérait plus qu’on avait besoin de lui pour qu’il applique ses capacités professionnelles à une tâche qui lui était imposée et vis-à-vis du contenu de laquelle il n’avait pas de responsabilité. Il se sentait maintenant responsable de l’organisation fonctionnelle des nouvelles formes de la vie et du développement des structures spatiales devant les sous-tendre. Ce qui était en train de se développer, c’était une notion de l’architecture en tant que vecteur de transformation du pays, de régulation du peuplement, de reconstruction du style de vie et d’éducation de l’individu. Telle était l’aune à laquelle on entendait juger la mesure dans laquelle l’architecture remplissait ses responsabilités envers la société.

 

 

 

 

 

 

 

Idées neuves en matière d’Urbanisme

 

 

Ce qui intéressait surtout les architectes soviétiques, c’était de sonder les possibilités d’une organisation rationnelle de tissu urbain et régional. Plus particulièrement, il s’agissait de proposer des projets de réaménagement de Petrograd et de Moscou. Les architectes commencèrent donc par le vif du sujet, à savoir le rôle que devaient jouer les villes les plus importantes dans le développement d’une société socialiste, ainsi que leur impact sur les modèles de distribution de la population. En 1918, l’ingénieur Boris Sakouline avait déjà exécuté un projet d’aménagement de la région économique entourant Moscou, qui comportait un système de villes satellites reliées entre elles par un réseau ferroviaire. Entre 1921 et 1924, le professeur Sergueï Chestakov exécuta une étude semblable pour le Grand Moscou, projet qui englobait la ville et ses banlieues. Son idée de base était qu’il fallait faire alterner les grandes zones de construction nouvelle et des bandes radicales constituées de parcs, le tout réuni par une ceinture extérieure de verdure. Cette idée devait être développée plus tard dans les schémas directeurs de développement de la ville et détermina sa structure réelle ultérieure. L’idée d’alternance provenait dans une certaine mesure du concept populaire au début du XXe siècle; toutefois, et c’est plus important, elle ressortait de la tradition nationale russe de tissu urbain pénétrant son environnement à la façon des doigts écartés de la main.

 

 

 

 

 

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Sergueï Chestakov, projet pour le Grand Moscou (1921-1924)

Source: alamy 

 

 

 

 

 

 

Au cours du printemps 1918, un groupe d’architectes moscovites (avec à sa tête Ivan Joltovski et Alexeï Chtchoussev) créa un studio destiné à élaborer le plan d’un Nouveau Moscou, premier schéma directeur de développement de la ville. En raison de la guerre civile qui faisait rage, il ne pouvait être question de conduire cette étude sur la base scientifique – inexistante – d’une planification et d’un urbanisme modernes, moins encore, sur celle du modèle d’économie nationale fonctionnant sur le moment. Mais la jeune équipe (constituée entre autres de Léonide Vesnine, Ilia Golossov, Victor Kokorine, Nikolaï Kolli, Nikolaï Ladovski, Constantin Melnikov et Sergueï Tchernychev) avait pour elle le talent et le romantisme révolutionnaire de cette époque. Et si les principes du réaménagement furent mis au point en grande partie de façon intuitive, la vie se chargea de montrer le bien-fondé de nombre des solutions avancées par ces architectes. Par exemple, il avait été décidé de ne pas abandonner le plan historique de Moscou; le centre de la cité était pensé (pour reprendre les termes de Chtchoussev) comme un soleil dardant ses rayons, c’est-à-dire comme un noyau et un système de centres plus petits rayonnant à partir de ce noyau.

 

 

En 1923, en accord avec ce plan du Nouveau Moscou, on démarra au nord-ouest de la ville le premier chantier d’habitation: le bourg de Sokol, sur un projet de Nikolaï Markovnikov. Basé sur le concept des villes-jardind, le projet prévoyait la construction de maisons individuelles entourées de larges espaces verts. L’ensemble, qui comporte des habitations bien aménagées dans le style des maisons villageoises russes ou des cottages anglais, est très pittoresque; toutefois, dans une grande ville, ce principe de construction n’était pas viable. Les contemporains critiquèrent sévèrement les ramifications sociales de la maison individuelle, comme étant opposées à celles de l’habitat communautaire qu’on considérait alors comme la seule structure d’habitation prometteuse.

 

 

A Petrograd, on inaugura en mai 1919 un studio géré par le Conseil pour le réaménagement de Petrograd et de ses faubourgs. Dirigé par Ivan Fomine, le groupe comprenait, entre autres, Alexandre Nikolski (1884-1953); Lev Tverkloï (1899-1972) et Noé Trotski (1895-1940). Une des premières études du groupe en question fut un Schéma directeur du Grand Petrograd (1919-1921). L’idée était de compléter la ville d’un système de villes satellites unies en groupes linéaires; entre ces zones de villes satellites et le noyau historique de la ville devait se trouver une zone occupée par des complexes d’habitation semi-autonomes séparés par des massifs de verdure. Ce schéma (qui ne fut jamais réalisé) anticipait les principes du Schéma directeur de développement de Stockholm qui, trois décennies plus tard, devait laisser une marque indélébile sur l’urbanisme mondial. Le Schéma directeur prévoyait également l’extension du noyau historique de Petrograd vers le golfe de Finlande afin de former un front de mer; cette idée fut en fait réalisée après la Seconde Guerre mondiale.

 

 

L’influence du concept de ville-jardin constitua une caractéristique importante de toutes les idées urbanistiques de l’époque. Dans le projet du Grand Petrograd, ce concept subit une transformation profonde, tandis que dans d’autres cas il garda sa forme originale (pensons, par exemple, un projet de relèvement et de réaménagement de Yaroslavl, (1920-1922). Cette période se caractérisa par une priorité donne à l’«esthétique citadine» et au caractère «artistique» des projets urbains. Caractéristique des premières années qui suivirent la révolution, cette tendance mettait l’accent sur la conservation et la restauration soigneuses des monuments architecturaux. Les architectes travaillaient également sur des projets prévoyant la restauration de la structure précapitaliste de la ville et l’élimination des conséquences du développement sauvage que les complexes urbains avaient connu au tournant du siècle. Dans d’autres projets, on proposa de développer les nouvelles constructions autour de monuments historiques, qui devaient alors servir de pôles centraux.

 

 

Se considérant comme les «gardiens de la tradition», les architectes de l’ancienne génération tentaient parfois d’ériger en absolu l’importance de l’héritage historique dans les villes en rapide évolution; s’efforçant de conserver tout ce qui était ancien (ce qui était impossible), ils risquaient parfois de confondre véritables valeurs et choses destinées de toute façon à disparaître. Cette situation déboucha sur un débat passionné, étant donné que beaucoup d’autres gens considéraient l’architecture du passé comme le symbole de valeurs moribondes mais encore invaincues. Le débat amena un conflit ouvert entre les conceptions des professionnels et celles du public, mais également au sein de la profession elle-même, dont les membres évaluaient de manières diverses les valeurs traditionnelles. Dans une certaine mesure, ces différences étaient dues au fossé des générations qui existait entre les jeunes architectes et leurs collègues plus âgés.

 

 

Cependant, la variété des approches n’affecta pas le consensus relatif au plus important des objectifs d’un nouvel urbanisme. Dans les documents datant de cette époque, on trouve ces objectifs clairement exposés. Un des plus anciens de ces écrits est constitué par le programme des activités du premier corps formé par les autorités soviétiques afin de guider le processus urbanistique. Il s’agissait de l’Office de l’urbanisme, de la régulation et de la construction urbaine et rurale (comité qui dépendait du Département de la construction urbaine et rurale du Conseil supérieur de l’économie nationale). Selon son programme, l’élimination désirée des déficiences présentées par les cités modernes «ne peut s’atteindre par des mesures limitées de nature technique, sanitaire ou artistique. On ne peut résoudre ce problème qu’en stimulant la créativité sociale et en planifiant une structure cohérente de la cité nouvelle». Le programme désignait ensuite des priorités. «Le premier objectif sera la disparition de la pénurie logements…Le second sera la création de la cité et le développement de ses parties en un tout organique….Le plan directeur de la cité est à la fois un programme destiné à organiser la vie urbaine et un vecteur de créativité sociale.» Ce programme a été rédigé par l’ingénieur Grigori Doubélir en septembre 1918.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




De Sila à Gadiaufala : urbanisation et municipalisation dans la Numidie cirtéenne méridionale (2/2)

1062020

 

 

- Yann Le Bohec -

Publications de l’École Française de Rome

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En arrivant à Tigisis, aujourd’hui Aïn el-Bordj, on trouve une ville aux fonctions différentes, qui semble avoir été surtout chargée de contrôler des tribus indigènes.

 

Ce centre est relativement bien connu, en particulier grâce aux fouilles et recherches de S. Lancel et P. Pouthier, et il a mérité une notice dans la thèse de Cl. Lepelley. Il a été installé sur un site particulièrement bien choisi : à 950 mètres d’altitude, il domine la plaine de Bahiret et-Touila. La situation, en revanche, présente moins d’avantages que celles de Sigus ou Gadiaufala : point de carrefour ici ; on peut seulement dire que la ville se trouvait sur l’axe Sigus-Gadiaufala, portion d’une route autrement importante qui reliait Carthage à Cirta et Sétif.

 

L’occupation la plus ancienne devait être le fait d’indigènes. Outre le nom, on peut invoquer, à l’appui de cette hypothèse, l’importance d’un culte africain, celui de Saturne : M. Le Glay a repéré trois stèles à Tigisis et il pense que ces monuments devaient accompagner un sanctuaire du dieu. De plus, le grand nombre de tribus mentionnées dans les environs rend cette origine hautement probable.

 

Une forteresse aurait été installée en ce lieu dès les débuts de l’époque romaine : si elle a bien existé, ce qui reste à établir, elle devait à la fois contrôler les indigènes restés fidèles à leurs traditions et protéger les immigrants, eux aussi africains, mais romanisés depuis l’époque de César ou d’Auguste comme le montre la fréquence du gentilice Iulius. L’importance de Tigisis ne paraît guère d’après ce que les fouilles ont livré, un arc daté de 198, un mur du VIe siècle de 220 mètres sur 190, et une soixantaine d’inscriptions. Le vandalisme du XIXe siècle a fait son œuvre ici aussi.

 

De ce fait, la vie municipale reste en partie dans l’ombre. On ignore le statut de ce centre. Cl. Lepelley suppose qu’il fut un simple pagus jusqu’au milieu du IIIe siècle. Une chose paraît assurée : il dépendait de Cirta. Des bornes de délimitation le laissent penser; on trouve, au sud de Tigisis, la mention d’un homme inscrit dans la tribu Quirina, et originaire de la «capitale» de la Confédération; enfin, la commune aurait offert une dédicace «Genio coloniae Cirtensium» (mais l’authenticité de ce document a été mise en doute). À partir du milieu du IIIe siècle, l’agglomération devint indépendante. En 305, elle possédait sa «pleine autonomie municipale», mais son titre demeure mystérieux, et il n’est pas assuré qu’elle soit devenue par la suite municipe, contrairement à ce qui a été parfois écrit. Les institutions, un peu mieux connues, ne vont pas à l’encontre de ces hypothèses. En 198 est attesté un décurion; la même inscription évoque la promesse d’une somme honoraire et fait intervenir le légat gouverneur. L’épigraphie mentionne des décurions en 295, et l’ordo entre 293 et 305; s. Augustin, se référant à des événements de 305, parle également de l’ordo et d’un curateur. Tigisis disposait d’un trésor public.

 

Ces institutions et ces statuts, dans la mesure où on peut les connaître, ne présentent aucun caractère exceptionnel. Pourtant la cité à joué un rôle bien particulier dans un domaine précis, comme l’a d’ailleurs montré S. Lancel : entourée de tribus indigènes, elle devait les contrôler et les séduire en leur montrant les charmes de la vie à la romaine. Dès l’époque de Vespasien un légat en mission extraordinaire délimite les territoires de Cirta, des Nicibes et des Suburbures Regiani. À la même époque, au nord-ouest de Tigisis, une inscription désigne les agr(i) pub(lici) Cir(tensium) ads(ignati) Suburb(uribus) Reg(ianis) et Nicibibus .

 

Où vivaient donc les peuples qui entouraient ce centre? À l’est, mais assez loin, et plus près de Gadiaufala d’ailleurs, se trouvait la cité des Nattabutes. Au nord-ouest s’étaient installés les Nicibes, en tout ou en partie; par la suite, cette nation, ou une fraction d’entre elle qui aurait nomadisé ou aurait été refoulée, est attestée vers Ngaous (Niciues), dans le sud-ouest de la Numidie Cirtéenne.

 

Où placer les Suburbures Regiani? J. Desanges, avec prudence, les situe simplement aux environs de Tigisis; mais, comme les Nicibes occupaient le nord-ouest et les Nattabutes l’est, on peut proposer, à titre d’hypothèse, la région méridionale, ce qui expliquerait en outre l’absence de ruines romaines à cet endroit. Quoi qu’il en soit, des Suburbures Regiani furent déplacés vers l’ouest, ou migrèrent spontanément, et on les retrouve sous Septime Sévère aux environs de Saint-Donat ou d’Azziz ben Tellis. Ainsi Tigisis a joué un grand rôle à l’égard des tribus africaines, et c’est une des principales originalités de ce site. Les campagnes environnantes, en revanche, ne présentent guère de particularités, et la carte archéologique paraît calquer celle de Sigus : on observe un espace vide immédiatement au sud et des ruines romaines réparties à peu près équitablement au nord et assez loin vers le sud. Tout au plus peut-on relever la présence d’un important domaine impérial, le saltus Sorothensis, à quelque vingt kilomètres dans le sud-sud-ouest de la ville.

 

Mais Tigisis semble avoir joué un rôle local pendant longtemps. Des évêques sont attestés vers 305, en 411, 484, au VIe siècle, en 602, au VIIIe et même au IXe siècle. L’époque byzantine a laissé d’autres traces, et d’abord ce que Ch. Diehl appelait un fortin et qui est plus justement, comme l’a bien vu Cl. Lepelley, une forteresse, occupant une superficie de 3,96 hectares. Cette construction correspondait certainement à une réelle nécessité militaire, car en 535 eut lieu dans les environs un conflit qui opposa le byzantin Althias au berbère Iaudas. Enfin, au milieu du VIIe siècle est attesté un dux.

 

 

 

 

 

De Sila à Gadiaufala : urbanisation et municipalisation dans la Numidie cirtéenne méridionale (2/2) dans Architecture & Urbanisme 800px-%D8%AD%D9%81%D8%B1%D9%8A%D8%A7%D8%AA_%D9%81%D9%8A_%D9%85%D8%AF%D9%8A%D9%86%D8%A9_%D8%B9%D9%8A%D9%86_%D8%A7%D9%84%D8%A8%D8%B1%D8%AC_%D8%B3%D9%86%D8%A9_1955_%D9%88_1956_%D8%B9%D9%84%D9%89_%D9%8A%D8%AF_%D8%B9%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%8A_%D8%A7%D9%84%D8%A2%D8%AB%D8%A7%D8%B1_%D9%84%D8%A7%D9%86%D8%B5%D8%A7%D9%84_%D9%88_%D8%A8%D9%88%D8%AB%D9%8A%D8%A7%D8%B1 

Première campagne de fouilles à Tigisis 1955 – 1956

(Serge Lancel; Pierre Pouthier)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’originalité de Tigisis tient donc au rôle qu’elle a joué à l’égard des populations indigènes et à sa survie tardive. Celle de Gadiaufala, actuellement Ksar Sbahi, tient au contraire à sa position qui en a fait nœud routier plus important encore que Sigus. La ville a été bâtie à environ 900 mètres d’altitude, sur une éminence qui domine les Hautes Plaines, au contact de deux reliefs orientés, et près des derniers plis de l’Atlas Tellien. Mais c’est surtout sa situation qui retient l’attention; elle se trouvait au centre d’une véritable étoile de voies romaines, sur deux axes majeurs, celui qui reliait Carthage à Sétif (par Tipasa et Thubursicu Numidarum à l’est, par Tigisis et Sigus à l’ouest), dont une branche partait vers Cirta, et celui qui unissait Cirta à Tébessa en passant par Vattari (Fedj es-Siouda). De Gadiaufala on pouvait également atteindre Ksar Adjeledj au sud-ouest et Thibilis (Announa) au nord-est. Cette bonne fortune, conséquence de la situation géographique, ne s’arrête pas là; la région fut recouverte d’oliviers et la ville devint un important centre oléicole : on y a retrouvé de nombreux pressoirs.

 

La richesse économique attira un fort peuplement. Les tribus indigènes furent naturellement moins choyées par le pouvoir politique, et seuls les Nattabutes purent rester dans les environs (immédiatement au nord), et encore est-ce parce qu’ils se regroupèrent autour d’une ciuitas, à Oum Krekech. À cet égard donc, Gadiaufala jouait un rôle moindre que celui de Tigisis. En revanche affluèrent Romains et romanisés; l’occupation, ancienne et massive, fut en particulier l’œuvre de vétérans.

 

La bonne fortune des archéologues n’a pas voulu se montrer généreuse pour ce site. On en pressent l’importance : de nombreuses maisons et une forteresse ont été repérées, et on connaît un chevalier originaire de cette ville. On a également retrouvé un aqueduc, une nécropole et une cinquantaine d’inscriptions, en plus des pressoirs déjà mentionnés.

 

Et la moisson épigraphique n’est pas seulement peu abondante : elle est aussi peu explicite. On ignore tout du statut et des institutions de cette agglomération. Cependant, certaines données incitent à formuler une hypothèse. Et d’abord, l’importance économique et stratégique de Gadiaufala ne peut plus être sous estimée. En outre, cette ville, comme nous l’apprend un milliaire, est liée à Cirta. Enfin, on y retrouve une onomastique proche de celle de Tigisis, avec beaucoup de Iulii, ce qui n’est pas très original, il est vrai, mais aussi des Caecilii et des Geminii, gentilices moins fréquents. Alors, si Cl. Lepelley a pu supposer que Tigisis avait reçu le statut de pagus, peut-être ne me taxera-ton pas de témérité si on propose l’hypothèse que Gadiaufala ait été également un pagus, appelé par la suite respublica et castellum, et doté de magistri et d’un ordo de décurions.

 

Mais il ne s’agit là que d’une supposition. On retrouve un terrain plus solide avec l’examen des ruines romaines repérées sur le terroir de cette agglomération. L’examen de la carte archéologique révèle de fortes densités et une occupation particulièrement importante au nord-ouest et au sud-ouest, surtout en liaison avec les reliefs, situation qui n’est pas sans évoquer celle qui a été observée dans les environs de Sila. Les campagnes situées au nord-est et au sud-est de la ville ont été également occupées, et une inscription indique, dans les environs, l’existence d’un uicus lié à un marché (nundinae) et à un temple.

 

Après un apogée qu’il faut placer sans aucun doute sous le Haut Empire, le destin de Gadiaufala devint plus terne, à l’inverse de ceux de Sila et Tigisis, à l’instar de celui de Sigus. Des évêques sont attestés en 255-256 et 484, ainsi qu’une église à trois nefs de 25 mètres sur 12.

 

Au VIe siècle, peut-être, existait un domaine installé sur un municipe; enfin, à l’époque byzantine, on construisit un fortin (et non une forteresse : l’enceinte ne couvrait qu’un espace modeste de 0,16 hectare). Gadiaufala fut donc un important carrefour sous le Haut-Empire, et un centre agricole voué au moins à l’oléiculture, peut-être aussi un pagus devenu castellum.

 

Cette enquête souffre des lacunes de la documentation et de la part des hypothèses; elle nous laisse donc dans une relative incertitude, comme il arrive parfois en histoire ancienne.

 

Certains résultats paraissent néanmoins acquis. Ces quatre agglomérations possèdent des points communs : elles sont situées dans le sud de la Numidie Cirtéenne, elles sont unies à la «capitale» par des liens de subordination et il s’agit de centres urbains petits ou moyens, de dimensions analogues, qui devaient leur prospérité en partie à l’oléiculture.

 

Des différences peuvent également être relevées. Sigus et surtout Gadiaufala bénéficiaient de leurs situations qui en faisaient d’importants carrefours, alors que Tigisis et surtout Sila jouaient un moindre rôle dans le domaine des communications. Tigisis en revanche et Gadiaufala à un moindre degré avaient pour double mission de contrôler les indigènes et de les séduire : nombreux dans les montagnes, ceux-ci ont été soit refoulés, soit recouverts par une deuxième couche de population, plus romanisée, à laquelle ils se sont mêlés.

 

L’histoire municipale, elle aussi imparfaitement connue, repose sur une certitude et sur deux hypothèses. Ainsi Sigus reçut le titre de pagus, sans doute avant la fin du Ier siècle, et fut appelée «respublica» et «castellum» dans la première moitié du IIIe siècle. On peut penser, avec Cl. Lepelley, que Tigisis suivit la même évolution, et je propose de formuler une supposition analogue pour Gadiaufala. Voilà les réponses, certes partielles, que l’on peut donner aux questions «Quand?» et «Comment?» Le «Pourquoi?» relève plus de l’évidence; les promotions reconnaissent à la fois la prospérité et la romanisation : là, le droit rejoint l’économie et la culture.

 

Ces quatre villes paraissent avoir eu des destins différents pour la période qui va de l’Antiquité tardive à la reconquête byzantine. Alors que Sila et Tigisis maintenaient leur niveau de richesse, Sigus et Gadiaufala semblent s’être effacées. Quoi qu’il en soit, après l’accession au titre de pagus, avant la fin du Ier siècle, et au rang de castellum, au début de l’ère sévérienne sans doute, plus aucune évolution n’est attestée par les sources.

 

On peut maintenant résumer l’histoire de l’urbanisation pour le sud de la Numidie Cirtéenne : deux phases d’essor au Ier et au IIe siècle ont été récompensées par des transformations juridiques; le IIIe siècle a sans doute été caractérisé par un ralentissement des activités; du IVe au VIe siècle, les villes semblent avoir suivi des destins divergents, mais aucun titre nouveau n’accompagne la fortune maintenue de Sila et Tigisis. Pour les cas qui ont retenu notre attention une conclusion s’impose : les mutations municipales récompensaient donc les longues phases d’essor économique et de romanisation; en revanche, une période d’essor n’entraînait pas nécessairement un changement de statut municipal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




De Sila à Gadiaufala : urbanisation et municipalisation dans la Numidie cirtéenne méridionale (1/2)

14042020

 

 

- Yann Le Bohec -

Publications de l’École Française de Rome

 

 

 

 

 

 

 

 

L’étude de quatre agglomérations du sud de la Numidie cirtéenne (Sigus, Sila, Gadiaufala et Tigisis) met en valeur les liens entre droit public et histoire. Il s’agit de centres indigènes qui ont été romanisés et qui vivaient de l’oléiculture. Sigus jouait en outre le rôle de nœud routier, tout comme Gadiaufala, cependant que Tigisis surveillait des populations locales. Du statut de pagus, Sigus, et peut-être Gadiaufala et Tigisis, passèrent à celui de castellum au terme d’un long essor économique. Pendant l’Antiquité tardive, deux des quatre centres maintinrent leur dynamisme (Sila et Tigisis), les deux autres paraissant au contraire avoir connu un certain déclin.

 

 

 

«Du point de vue de Sirius», tous les hommes se ressemblent; toutes les villes de l’Afrique romaine devaient aussi se ressembler, et pourtant un examen attentif révèle bien des différences, comme le montrera l’étude de Sila, Sigus, Tigisis et Gadiaufala.

 

À partir de l’étude de ces quatre cas, mettre en rapport droit public et histoire. On envisage de voir d’un côté les statuts et les institutions, de l’autre le développement humain et économique, l’urbanisme aussi, en mettant l’accent sur la chronologie, ce qui revient à replacer l’histoire municipale dans l’histoire générale; cette enquête essaiera donc de répondre à trois questions : «Quand?» «Pourquoi?» et «Comment?». Si on peut savoir à quel moment tel centre a reçu tel titre, il serait intéressant de connaître les motifs qui ont conduit l’autorité impériale à octroyer ce nouveau rang, à cette époque précise, de savoir dans quel contexte l’événement s’est produit.

 

S’agissant des quatre villes nommées plus haut, et qui appartiennent toutes à la partie méridionale de la Numidie cirtéenne, l’entreprise ne va pas sans difficultés en raison des inégalités de la documentation. Certes, chaque site a livré des inscriptions, mais le nombre de ces textes varie de l’un à l’autre. De plus, on se demande souvent ce que signifie la mention «RR», «ruine romaine», sur l’Atlas archéologique, surtout du point de vue de la datation. Mais ces difficultés ne sont-elles pas le lot commun de tous les antiquisants?

 

Elles sont d’ailleurs atténuées par l’existence d’une bibliographie récente et de qualité. La vie municipale commence à être bien connue grâce, notamment, aux travaux de J. Gascou (1) et de Cl. Lepelley (2) (mais bien d’autres noms pourraient être cités, et mériteraient de l’être). En outre, J. Desanges (3) puis J.-M. Lassère (4) ont donné des descriptions précises et complètes des populations qui ont vécu dans l’Afrique romaine et sur ses marges. Ainsi, certains résultats paraissent maintenant solidement acquis. On devrait désormais tenter d’aller au-delà, et c’est ce que on se propose d’essayer.

 

Le choix de ces cités ne relève pas du hasard. Elles présentaient en effet un certain nombre de points communs qui tiennent à l’histoire et à la géographie.

 

Situées au sud de la Numidie Cirtéenne, elles se trouvent toutes les quatre sur la ligne de contact entre l’Atlas Tellien (ici les Monts du Constantinois) et les Hautes Plaines.

 

De plus, les populations indigènes sont assez bien connues. Leur présence, importante et très ancienne, est attestée dès la Préhistoire qui a laissé de nombreux monuments : il y en aurait eu plus de 2000 aux environs de Sila et plus de 1000 autour de Sigus. Pour l’époque historique, on peut nommer plusieurs peuples, et tout d’abord les Musulames. Une importante partie d’entre eux se trouvait au sud-ouest, au sud et au sud-est de la Confédération Cirtéenne; cette fraction fut cantonnée sous les Flaviens, puis déplacée, et on la retrouve, au IIIe siècle, au nord ouest de Tadutti (Aïn el-Hammam, ex-Fontaine Chaude). Les Nattabutes, les Nicibes et les Suburbures Regiani semblent avoir occupé un espace moindre, et seront évoqués plus loin, en relation avec les cités près desquelles ils vivaient.

La romanisation de ce secteur paraît avoir été accompagnée d’une certaine uniformisation de l’économie, ce qui, au demeurant, n’a rien de surprenant, puisque les conditions géographiques étaient voisines et les techniques rudimentaires. Ainsi, l’oléiculture, pour autant qu’on puisse le savoir, a joué un grand rôle. Elle était pratiquée sur de petits domaines soumis à des contraintes collectives, et a favorisé la sédentarisation, suivant un processus bien connu, ainsi que l’accroissement de la population; les densités rurales, normalement élevées, avaient été accrues par l’installation de vétérans.

 

Cette romanisation, précisément, s’est développée de même dans un cadre unique, puisque Sila, Sigus, Tigisis et Gadiaufala, se trouvant sur le territoire de la Confédération, étaient liées à Cirta, cité dont l’histoire est assez bien connue. La ville avait été donnée par César à Sittius, un condottiere qui s’était mis à son service. Elle était devenue colonie de droit public entre 36 et 27 av. J.-C. d’après J. Gascou, sous Auguste selon Cl. Lepelley , et déjà elle contrôlait des pagi. Trois de ces derniers, Rusicade, Chullu et Mileu, furent promus sous Trajan et, avec la capitale, formèrent alors la «Confédération des quatre colonies». Pendant ce temps, d’autres centres, dont les quatre qui nous occupent, se développaient eux aussi et recevaient les titres de pagi ou castella. A. Beschaouch a étudié la pertica de Carthage; il y a vu une opposition entre les pagi, peuplés de citoyens romains, et les castella, laissés aux peregrins; J. Gascou, à partir d’autres exemples, pris justement dans la Confédération Cirtéenne, pense à l’opposé que, dans ce cas au moins, les castella n’étaient que les noyaux urbanisés de pagi dans lesquels indigènes et immigrants se sont harmonieusement fondus. Parmi les arguments utilisés par J. Gascou pour bâtir sa théorie l’histoire de Sigus intervient au premier chef. Mais voyons les caractères originaux de chacun de ces quatre centres, en suivant l’ordre le plus simple, celui de la géographie.

 

Nous commençons alors par une ville sans doute oléicole, Sila, aujourd’hui Bordj el-Ksar, située à environ 900 mètres d’altitude et prise entre deux reliefs orientés qui atteignent celui du nord-ouest 1180 mètres et celui du sud-est, le Djebel Fortas, 1477 mètres. Cette configuration lui confère un relatif isolement, la place dans une sorte de défilé d’où ne part qu’une unique route qui bifurque ensuite vers Sigus et Cirta.

 

D’origine indigène comme le suggère son nom, l’agglomération a accueilli des immigrants, des Africains devenus citoyens romains à en croire leur onomastique. Et au milieu du Ier siècle elle reçut une nouvelle impulsion pour des raisons d’ordre militaire : elle fit partie du système défensif qui entoura Constantine et elle abrita en tout ou en partie la IIe Cohorte de Thraces.

 

À son apogée, la ville possédait des monuments sans doute importants, mais qui ont mal traversé l’épreuve des siècles: «On ne voit du reste à Sila aucun édifice digne d’attention sauf un fort byzantin». Il en reste un rempart, des thermes, une vingtaine de bâtiments, et une nécropole, le tout couvrant environ 16 hectares. On y a retrouvé des pressoirs, et c’est sur ces découvertes que l’on s’est fondé pour lui attribuer un caractère oléicole. L’abondante moisson épigraphique qui y a été effectuée – trois cent quarante sept textes – confirme cette impression : Sila ne doit pas être prise pour une agglomération négligeable.

 

Du point de vue du droit public, également, la documentation suggère les mêmes réflexions. Certes, comme le montrent en particulier trois bornes de délimitation, des liens de subordination existaient à l’égard de Cirta; mais les milliaires indiquent que la numérotation se faisait à partir de Sila, et non de la «capitale», caractère original qui mérite d’être souligné.

 

Dans la deuxième moitié du IIIe siècle, fonctionnait une respublica, attestée par l’épigraphie; elle est mentionnée par des inscriptions, ainsi que par un texte non daté. Elle était administrée par des décurions qui pouvaient voter des décrets et qui constituaient un ordo, et, à partir de 223 au plus tard, elle disposait d’un trésor public. À sa tête se trouvaient des notables : ils sont appelés magistratus ; une pierre ne porte que les trois lettres MAG, que l’on hésite à développer en mag(istratus) , par référence au document précédent, ou en mag(ister) par analogie avec ce qui se faisait dans les castella en général et dans ceux de la Numidie Cirtéenne en particulier. Une flaminique est peut-être également évoquée ailleurs. Enfin, on soulignera un point commun avec Cirta; les habitants de Sila paraissent avoir été inscrits dans la tribu Quirina, mais cette appartenance y est indiquée beaucoup plus rarement qu’à Sigus, par exemple : faut-il comprendre que la citoyenneté y revêtait un aspect exceptionnel, ou bien s’agit-il d’habitudes locales? On ne sais. L’importance de l’élément indigène ressort de la persistance de pratiques de type berbère pour les sépultures .

 

 

Les campagnes environnantes, dans la mesure où elles sont connues, présentent des caractères originaux, avec de nombreuses fermes dispersées. On a déjà indiqué le grand nombre de pressoirs trouvés dans l’agglomération; il manifeste l’importance de l’oléiculture. On notera également que les mentions de ruines romaines présentent une particulière densité non pas dans la plaine, mais sur les massifs environnants et surtout sur les bordures de ces reliefs, avec un avantage net au nord-ouest sur le sud-est. D’autre part, on n’a relevé aucun nom de tribu indigène dans ce secteur : les bornes de délimitation connues, au nombre de trois, ne mentionnent que le territoire de Cirta; elles ont été trouvées à environ trois kilomètres au nord de l’agglomération, soit à une distance très courte.

 

 

La fortune de Sila traversa les siècles. Le christianisme s’y développa; les fidèles pratiquaient le culte des martyrs et purent financer la construction d’au moins deux basiliques. Des évêques sont attestés de l’époque byzantine également date un fortin de 0,20 hectare.

 

 

Sila était donc un petit centre oléicole, qui fut qualifié de respublica dans la première moitié du IIIe siècle, et dont la prospérité, modeste et stable, dura, avec des crises sans doute, depuis le Ier siècle de notre ère jusqu’au VIe siècle au moins.

 

 

 

 

 

 

De Sila à Gadiaufala : urbanisation et municipalisation dans la Numidie cirtéenne méridionale (1/2) dans Architecture & Urbanisme 200318065450918287

 

 

 

 

 

 

Sigus, qui a conservé son nom antique, présentait des caractères analogues mais aussi une originalité : il s’agit également d’une ville vivant de l’agriculture, et notamment de l’oléiculture, mais elle jouait en plus le rôle de nœud routier.

 

Située elle aussi à environ 900 mètres d’altitude, entre le Djebel Fortas au sud-ouest et les derniers plis des Monts du Constantinois au nord, elle bénéficiait en effet d’une situation privilégiée, se trouvant au carrefour de deux axes majeurs reliant des centres d’une importance fondamentale pour l’administration et l’économie de la province : là se croisaient les routes Tébessa-Constantine et Carthage-Sétif par Gadiaufala et Tigisis.

 

Sigus avait sans doute une origine africaine, comme l’indiquent son nom et le fait que son deus patrius se soit appelé Baliddir. De plus, le noyau de sa population était constitué par des Africains romanisés à l’époque de César ou d’Auguste, ainsi que nous l’apprend l’onomastique, car on y constate, comme à Sila d’ailleurs, la présence d’un important contingent de Iulii. Le rôle routier a sans aucun doute contribué à donner une importance particulière à Sigus. Le plan est difficile à connaître : «On n’en distingue plus que quelques maigres vestiges». On y a repéré de nombreuses maisons, un aqueduc, une nécropole, des pressoirs, une basilique et des thermes, et l’épigraphie a livré une moisson de trois cent soixante quinze textes. Le statut juridique, par bonheur, est assez bien connu. Une inscription, que J. Gascou attribue à la fin du Ier siècle en raison du formulaire, mentionne un pagus. Dans la première moitié du IIIe siècle, comme à Sila, existait une «respublica», titre qui apparaît en 197, vers 225-226 et en 242, ainsi que dans un texte non daté; simultanément, elle avait également droit à la dénomination de «castellum», que l’on trouve dans une inscription postérieure à la mort de Septime Sévère.

 

Mais, dans tous les cas, Sigus se trouvait dans la dépendance de Cirta, où elle resta au moins jusqu’au milieu du IIIe siècle, comme le montrent les bornes de délimitation, sur lesquelles nous reviendrons, et un certain nombre de documents qui concernent la vie municipale de cette agglomération.

 

Comme partout, les institutions comprennent une assemblée restreinte et des magistrats. Les décurions, «conseil d’administration» de ce «centre urbain d’un simple pagus», votent des décrets, attestés depuis l’époque d’Hadrien jusqu’au début du IIIe siècle, et ils disposent d’un trésor public. Les élus, qui doivent acquitter une somme honoraire, portent le titre de «magister pagi», dont on a plusieurs exemples, ou revêtent l’un des multiples sacerdoces connus, en particulier le flaminat. Les simples citoyens sont inscrits, ici aussi, dans la tribu Quirina, si souvent mentionnée qu’elle est parfois abrégée à son initiale, et de nombreux Cirtéens résident à Sigus.

 

Le rôle de cette ville s’explique par sa situation, mais aussi par la richesse de son terroir, qui est fondée en partie au moins sur l’oléiculture, comme on l’a vu. La configuration de l’habitat rural se retrouve avec le même aspect qu’à Tigisis : immédiatement au sud des deux villes s’étend une bande de terrain à peu près vide; les ruines romaines sont assez bien réparties entre la zone nord et celle qui est située plus au sud. Les bornes de délimitation, assez nombreuses, ne mentionnent aucun peuple indigène, mais seulement Cirta et Sigus.

 

Ces bornes de délimitation ont donc été mises en place pour l’essentiel à l’époque d’Hadrien, et surtout dans la dernière année du règne. Elles montrent que Sigus se trouvait sans conteste possible sur le territoire de la Confédération. Si la documentation présente une relative abondance pour les trois premiers siècles de notre ère, elle se fait beaucoup plus rare pour l’Antiquité tardive, et nous pouvons seulement dire que sont mentionnés des évêques en 411 et 484. Ce silence paraît bien difficile à expliquer : faut-il faire intervenir une variation des axes commerciaux? On ne sait.

 

Quoi qu’il en soit, Sigus se révèle pour nous comme un centre oléicole et un important nœud routier sous le Haut-Empire, sans doute honoré du titre de pagus dès la fin du Ier siècle, assurément constitué en respublica de 197 à 242, et castellum au plus tard au lendemain de la mort de Septime Sévère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) J. Gascou, La politique municipale de l’Empire romain en Afrique Proconsulaire de Trajan à Septime Sévère, 1972, 258 p

 

(2) Cl. Lepelley, Les cités de l’Afrique romaine au Bas-Empire, 1979 et 1981, 2 vol., 422 et 609 p.

 

(3) J. Desanges, Catalogue des tribus africaines de l’Antiquité classique à l’ouest du Nil, 1962, 297 p.; voir aussi, du même, Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, V, 1-46, 1980, 499 p

 

(4)  J.-M. Lassère, Vbique populus, 1977, 715 p

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Ville nouvelle ou Zhun à grande échelle ?

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L’exemple d’Ali Mendjeli à Constantine

 

 

 

 

 

 

 

 

Les autorités algériennes viennent de relancer le projet de nouvelles villes dans l’algérois, celle de Sidi Abdellah en tant que pôle technologique, celle de Bouinan en tant que pôle sportif et ludique et celle de Boughzoul (qui est une ancienne idée du général de Gaulle) en tant que future capitale algérienne qui aura pour nom « Algeria ». La conception de cette dernière sera confiée à l’architecte Ricardo Bofill qui a réalisé d’importants ensembles de logements à SaintQuentin-en-Yvelines, Marne-la-Vallée et Cergy-Pontoise.

 

 

Constantine, avec les deux nouvelles villes d’Ali Mendjeli et Massinissa, distantes à vol d’oiseau de cinq kilomètres, est devenue l’un des plus grands chantiers d’Algérie et une expérience pilote. Pourquoi ? La ville de Constantine, l’une des plus congestionnée d’Algérie, est toujours soumise au phénomène de l’immigration rurale. Autour du noyau central hérité des périodes ottomane et française, la périphérie est saturée par les grands ensembles, les bidonvilles, les constructions de trois illicites villes et satellites les quartiers distantes autoconstruits. d’une dizaine La de construction kilomètres de la ville mère englobe de très beaux villages coloniaux.

 

 

La ville est confrontée depuis plusieurs décennies aux glissements de terrains qui touchent 100 000 habitants, à l’effondrement de la vieille ville (Médina) qui concerne 40 000 habitants. Les demandeurs de logements sociaux sont au nombre de 32 000 par an du fait de ces problèmes et 10 000 au titre de l’accroissement naturel de la population de la ville. Pour les pouvoirs publics, la seule solution est la construction d’une nouvelle ville qui permettra la mise en place d’un programme de logement de grande envergure.

 

 

 

 

 

 

 

 

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L’émergence de la nouvelle ville de Aïn El Bey à Constantine

 

 

La création de cette ville nouvelle n’est évoquée ni dans le schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT) de 1987, ni dans le document « Demain l’Algérie », élaboré par le ministère de l’Équipement et de l’aménagement du territoire.

 

En fait, il n’existait pas en Algérie de cadre juridique concernant les nouvelles villes. Les tavaux de réalisation de la nouvelle ville de Aïn El Bey en 1992 furent lancés en l’absence totale de législation ad hoc. Celle-ci apparaît bien après : la loi n° 02/08 du 8 mai 2002 fixe les conditions de création des nouvelles villes et de leur aménagement.

 

La nouvelle ville de Constantine a donc été planifiée dans le cadre des instruments d’urbanisme ordinaire en vigueur dans le pays. Elle résulte d’une succession de décisions et d’études sur ce site qui devient progressivement un terrain d’accueil pour une ville nouvelle. Dans le PUD (plan d’urbanisme directeur) de 1973-1974, le site de la ville nouvelle avait fait l’objet d’études confiées au bureau d’études national CADAT (caisse d’aménagement du territoire). Il s’agissait alors d’y installer une ZHUN et quelques équipements.

 

Les études d’aménagement et d’urbanisation du site, relancées par le conseil des ministres le 22 mai 1983, le désignent comme périmètre de la future agglomération urbaine. Ainsi, le plateau de Aïn El Bey a été définitivement retenu. Le 1er décembre 1990, les autorités de la ville de Constantine demandent au bureau d’études URBACO (ex CAD AT) d’effectuer les études de la nouvelle ville de Ain El Bey, pour réaliser un nombre très important de logements sociaux. Les promoteurs du secteur public ont alors lancé un programme de 43 opérations totalisant 7 716 logements collectifs .

 

 

En 1992 le wali des Constantine donnait le feu vert pour le commencement des travaux de la nouvelle ville et créait un comité de suivi des opérations par l’arrêté n° 2 du 28 mars 1992. Le Plan Directeur d’Aménagement Urbain de Constantine a été approuvé par décret du 25 février 1998 ; la création de la nouvelle ville fut confirmée officiellement.

 

 

Sa capacité est de 50 000 logements et la population attendue de 300 000 habitants sur une assiette de 1 500 hectares. La nouvelle ville est baptisée « Ali Mendjeli » par le décret présidentiel du 5 août 2000. C’est le bureau d’études de collaboration l’Etat URBACO des services qui dirige de l’urbanisme le suivi des travaux du cadastre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le choix du site et l’organisation spatiale

 

 

L’emplacement du site de la nouvelle ville sur le plateau de Aïn El Bey et le tracé de son périmètre ont été décidés dans le cadre des études du Plan d’Urbanisme Directeur de Constantine de 1988 . Le site qui se trouve au sud-ouest de la ville de Constantine est constitué de terres agricoles incultes ou à faible rendement agricole.

 

 

Territorialement, la nouvelle ville « Ali Medjeli » n’appartient pas au chef-lieu de wilaya de Constantine et chevauche une partie du territoire de la ville satellite du Khroub et une partie de la commune de Ain S’mara. Sa surface est de 1 500 hectares.

 

 

Le principe d’aménagement urbain adopté est, à l’instar d’autres villes nouvelles dans le monde (Angleterre, Suède, Pays-Bas. . .), le zonage strict et une division des zones résidentielles en unités de voisinages composant à leur tour les quartiers. L’unité de voisinage est composée d’unités de base ou îlots. Théoriquement, chaque unité de voisinage est dotée d’équipements divers répondant aux besoins des habitants : commerces de première nécessité, équipements de santé, équipements à caractère éducatif en plus des équipements collectifs, administratifs, de loisirs et socioculturels etc. A chaque unité de voisinage correspond un certain nombre d’habitants, et un certain niveau d’équipements, répondant à cette population, définis à partir de la grille des équipements établis par les règlements d’urbanisme du pays.

 

 

La nouvelle ville sera découpée en 20 unités de voisinage, numérotées de 1 à 20. Elles se distinguent les unes des autres par leurs tailles et leurs formes. La nouvelle ville se compose de 5 quartiers ; chaque quartier est constitué de 4 unités de voisinage, composées de 3 unités de base, ou îlots. Le groupement de quartiers comprend 2 à 3 quartiers.

 

Le même principe de hiérarchisation est repris pour le réseau routier : voies principales, voies secondaires et tertiaires, et pour les centres : centre principal au niveau de la ville, centres secondaires au niveau d’un quartier ou d’un groupement de quartiers. On note aussi une hiérarchisation dans la densité des tissus ; densité forte au niveau du centre, densité moyenne autour du centre, puis faible à la périphérie.

 

 

Le centre principal se développe linéairement sur la route wilayale n° 101. Il est caractérisé par une forte densité. Il rassemble l’ensemble des activités tertiaires, commerciales, socioculturelles, administratives, économiques et de loisirs. Il est le lieu privilégié de la vie urbaine. Les édifices ont été regroupés de manière à former un pôle perçu dans l’ensemble bâti.

 

 

Les centres secondaires sont équipés afin de créer une bonne complémentarité entre le centre urbain de la nouvelle ville et l’environnement, aussi bien proche que lointain.

 

 

La ville nouvelle a aussi pour ambition de créer un pôle urbain doté d’un centre fort, structuré, dynamique, attractif et créateur d’emplois, un bassin de vie qui sera en mesure d’offrir aux habitants en plus d’un logement, un cadre de vie décent et de créer chez eux un sentiment d’appartenance et d’identité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un grand ensemble de logements

 

 

Des unités de voisinages sont en cours d’exécution ou en projet. Le centre ville qui a été pensé comme étant le pôle structurant de la nouvelle agglomération et devant accueillir les grands équipements (administratifs, éducatifs, commerciaux et autres) pour une population de plus de 300 000 habitants n’a pas encore vu le jour.

 

C’est l’unité de voisinage n° 6 qui a été le point de départ des travaux de réalisation. Cette unité de voisinage comprend de nombreux logements collectifs à caractère social. Elle est assez proche du centre urbain et donc des équipements qui s’y concentrent.

 

Elle est à proximité de la route wilayale n° 101 , et n’a pas besoin d’une nouvelle voie de desserte. La réalisation de l’unité de voisinage n° 6 en priorité, et avant le centre urbain de la nouvelle ville, vient des hésitations des autorités centrales quanta la réalisation de la ville nouvelle. En effet, les travaux de construction ont débuté, au moment où le PDAU du groupement de Constantine n’était pas encore approuvé , ainsi que le POS qui couvrait le périmètre dans lequel est situé l’unité de voisinage en question .

 

Les travaux de réalisation de l’unité de voisinage ont duré sept ans. C’est en l’an 2000 qu’elle fut achevée. Seuls les équipements éducatifs ont été réalisés (écoles, collèges et lycées). Si elle a été raccordée au réseau d’électricité, il n’existe pas encore de réseau de gaz de ville ou de téléphone. Les opérations de relogement dans l’unité de voisinage n° 6 ont débuté en 1999 lorsque celle-ci était en chantier.

 

 

Les unités de voisinage qui connaissent des travaux de réalisation, qu’elles soient achevées ou en cours d’achèvement, sont les unités de voisinages n° 5, 6, 7, 8, 9 et 1. Elles constituent le point de départ de la réalisation de la ville nouvelle en raison du quota en logements très important inscrit dans leurs programmes. Elles offrent un parc de logements évalué à 18 068 unités. Ce qui correspond à 33,3 % de l’ensemble du programme de logements de la ville nouvelle et à 82, 5 5 % du programme des logements programmés dans ces unités de voisinage.

 

Sur plan, la fonction commerciale est prépondérante mais se résume actuellement aux commerces de première nécessité (alimentation générale…). Les équipements à caractère socioculturels et de loisirs n’ont pas encore vu le jour.

 

La ville nouvelle est devenue une simple extension de la ville mère et constitue actuellement le réceptacle de tous les programmes de logements. Ce sont surtout des solutions d’urgence qui sont recherchées. C’est là qu’il a été décidé de reloger les habitants des quartiers de Constantine touchés par les glissements de terrain, ceux des quartiers précaires et ceux de la vieille ville qui tombe en ruines.

 

La grande majorité des logements réalisés sont des logements collectifs de type social. Ils représentent 62,61 % de l’ensemble des logements exécutés dans les unités de voisinage. Les logements sont du type Fl (9,98 %), F2 (43,35 %) et F3 (45,36 %).

 

A l’heure actuelle cette nouvelle agglomération urbaine prend l’allure d’une simple concentration d’habitations (barres et tours) et ressemble en tout points de vue aux ZHUN des années 1970-1980, tellement décriées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des systèmes d’études et de construction rapides

 

La stratégie appliquée dans la nouvelle ville est la même que dans les ZHUN : on conçoit une cellule de logement type, on la généralise sur le site pour la reprendre sur d’autres sites. Il s’agit d’un modèle reproductible à souhait. Cela s’appa¬ rente à une standardisation des études. Ce choix est dicté par le souci d’alléger la charge de travail du bureau d’études qui, après la conception et l’adoption de la cellule type, n’aura plus qu’à étudier l’adaptation au sol.

 

Les systèmes constructifs exploitent des outils de coffrage capables d’assurer un rythme de production élevé et donc une réalisation de logements en très grande quantité. Parmi les équipements utilisés, les plus performants sont les coffrages « table et banche », « tunnel » et « coffrage glissant ». Le choix en faveur de ces procédés de construction est incité par la dynamique de l’industrialisation du bâtiment et le développement d’entreprises de préfabrication permettant la production en série d’éléments intégrés tels que les panneaux de façade.

 

Le coût moyen d’étude et de réalisation au mètre carré d’un logement est passé de 16 500 dinars en 2002 à 1 5 000 dinars en 2003. Un logement de type F2 (deux pièces, cuisine, salle de bain et WC) a une surface totale de 47 m2 et celle d’un F3 est de l’ordre de 67 m2. Mais le taux d’occupation est de 7,14 personnes par logement, le taux d’occupation par pièce est de 3,7 personnes par pièce dans les ménages pauvres contre 2,7 personnes par pièce pour les moins pauvres. 20 % des ménages les plus pauvres comprennent 7,8 personnes au minimum. 45 % des ménages urbains les plus pauvres occupent 2 pièces et moins. En revanche, 68 % des ménages les plus riches occupent des logements de 3 pièces et plus.

 

Avec la crise économique qu’a connu le pays au début des années 1990, la construction de la nouvelle ville a connu une période de léthargie suite à la dissolution massive de nombreuses entreprises publiques de construction déficitaires et à des pénuries fréquentes de matériaux de construction.

 

Avec la relance du wali, le rythme effréné imprégné aux nouvelles réalisations pousse les entrepreneurs à des arnaques qui se soldent par des malfaçons. Beaucoup d’entreprises ont utilisé un dosage défectueux du béton armé et un ciment frelaté 12 . Les défaillances viennent aussi des services de planification qui n’ont pas exercé de contrôle technique et de suivi (notamment pour les risques sismiques).

Les logements sont livrés sans la moindre finition, avec des défauts en tout genre et même sans certains équipements. C’est un logement « neuf en ruine » où le nouveau locataire doit débourser le rendre habitable au moins et 300 lui 000 donner DA (3 un 000 minimum euros) en de travaux pour le rendre habitable et lui donner un minimum de confort.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le transfert de population vers la nouvelle ville

 

 

La nouvelle ville Ali Mendjeli connaît un important transfert de population venant en majorité des zones de bidon-villes et des quartiers de la vieille ville vétustés ou touchés par les glissements de terrains.

 

Contents a priori d’avoir bénéficié d’un logement, les habitante ont vite déchanté après avoir découvert qu’ils n’ont que des murs en béton, pas de gaz de ville, des moyens de transport insuffisants, et pas d’équipements à caractère socioculturel et de loisirs. Les espaces urbains inachevés et inhospitaliers et surtout le logement lui-même présentant un grand nombre d’imperfections ne provoquent pas une valorisation de soi chez le nouvel occupant. Beaucoup de « bénéficiaires » ont refusé de quitter leur logement d’origine pour celui de la nouvelle ville et ont été relogés de force par les autorités locales. Certains nouvelle habitants ont même voulu retourner dans leur quartier d’origine où la vie leur semble plus facile : proximité d’espaces urbains équipés, et surtout pas de factures à payer chaque fin de mois.

 

 

Vu le niveau d’appauvrissement, les ménages provenant des bidonvilles sont dans l’incapacité d’honorer les différentes factures, malgré les mises en demeure, concernant l’eau et l’électricité, et surtout le loyer mensuel qui a été fixé à 4 000 dinars et ensuite réduit à 2000 dinar, c’est-à-dire l/6e du salaire d’un algérien qui a droit au logement social. Le coût du mètre carré représente 250 % du SNMG (le SMIG algérien).

 

Le loyer, présenté comme la rémunération d’une prestation de services et l’amortissement d’un investissement, est devenu la source d’une partie du désordre que vivent les nouveaux quartiers de la nouvelle ville. La gestion et la maintenance du parc immobilier sont quasiment inexistantes puisque la grande majorité des locataires est dans l’incapacité de payer son loyer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adaptation et inadaptations architecturales et urbaines

 

 

L’absence de prise en charge des spécificités régionales et locales, le caractère sommaire des études et l’inadaptation des règlements élaborés se sont traduits par la production d’un cadre bâti monotone et de qualité insuffisante. Aucune référence n’a été faite dans la conception architecturale au patrimoine dont la ville de Constantine est riche, que ce soit la vieille ville ou les quartiers d’architecture française. Seule une reprise systématique de l’arc apparaît au niveau des façades.

 

Les nouveaux habitants entreprennent aussitôt des transformations importantes du logement : obturation d’une ouverture sur la façade pour préserver l’intimité, démolition d’une cloison pour agrandir un espace, détournement des fonctions dans les espaces du logement. .

 

Ces transformations s’opèrent très tôt, parfois même avant de s’installer dans le nouveau logement, pour ceux qui ont les moyens. D’autres transformations sont devenues un spectacle fréquent dans toutes les villes algériennes : le blindage des portes et le barraudage des fenêtres et des balcons jusque dans les étages supérieurs des immeubles, le blocage systématique des issues, autant des appartement que des locaux. Certaines façades sont déjà revêtues de bandes de pax à cause des infiltrations des eaux de pluies.

 

Les espaces extérieurs sont restés à l’état de terrains vagues non aménagés où on constate l’amoncellement des ordures de tous genres. Le paysage urbain est totalement déstructuré. Il n’y a pas véritablement de rues, c’est-à-dire d’éléments urbains qui servent à la fois de passages et de liens entre les objets bâtis. Les unités d’habitations (barres et tours) sont disséminées et ont une densité de population très élevée.

 

Cette façon de bâtir n’est certes pas sans rapport avec les exigences des cahiers des charges imposés aux architectes.

Jusqu’à présent, les conditions de vie urbaine sont quasiment inexistantes dans les unités de voisinage déjà réalisées. Alors que l’objectif de la ville nouvelle est de créer une ville à part entière, rassemblant des quartiers bien équipés, dotés de moyens de liaison, offrant aux habitants en plus d’un logement adapté à leur mode de vie et à leur modèle culturel, un emploi et un environnement qui favorise la vie urbaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quel avenir pour la ville de Constantine ?

 

 

Pourquoi construire une nouvelle ville au lieu de procéder à la réhabilitation et à la restauration de la vieille ville, à la stabilisation des sols pour endiguer le problème de mobilité des terrains et à la restructuration des bidonvilles quand cela est possible, en faisant participer les utilisateurs ? N’est-il pas possible d’équiper, de réaménager les zones d’habitat des grands ensembles et les lotissements pour désengorger la ville de Constantine ? N’est-il pas possible d’instaurer des réglementations rigoureuses pour faire face aux problèmes des quartiers spontanés qui poussent à la périphérie et qui offrent plus de logements aux habitants que tous les efforts réunis de l’Etat. ?

Il est vain de penser qu’agir sur un seul plan ou secteur pourrait solutionner les problèmes de la ville. La solution à la crise de la ville ne peut être que globale.

 

L’expérience a démontré que la gestion urbaine reste fortement liée au concept d’équilibre « ville-campagne ». Promouvoir les établissements ruraux qui gravitent autour de la ville aidera à prévenir les impacts susceptibles d’être générés par la croissance urbaine, notamment l’exode rural et l’apparition de zones d’habitat précaire ou spontané et contribuera certainement à alléger la pression sur la ville.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ZHUN : Zone d’habitat urbaine nouvelle ; grand ensemble algérien. Vers le milieu des années 1980, une nouvelle politique ambitieuse d’aménagement du territoire prévoit, en parallèle à la dynamisation des petits centres à partir de la réorganisation de l’armature urbaines, la création de nouvelles agglomérations urbaine sous forme de nouvelles villes. Elles devaient contribuer à la revalorisation des régions déshéritées telles que les zones montagneuses et enclavées, les hauts plateaux et le sud. La réalisation de nouvelles villes en Algérie fait partie du nouveau schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT) de 1987 où il est prévu la réalisation de dix-sept nouvelles villes, dont onze dans les hauts plateaux et six dans le sud. Au milieu des années 1990, le dossier des nouvelles villes est réactivé. « Les villes nouvelles »,

Les Cahiers de l’AADL, n° 2, janvier 1996, p. 14

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Article de Mohamed Foura et Yasmina Foura: enseignants chercheurs au département d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Constantine.

 

Source: Les Annales de la recherche urbaine, N°98, 2005. Les visages de la ville nouvelle. pp. 122-126

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




L’architecte orientaliste (1)

25012020

 

Par Lorraine Decléty

Doctorante au Collège doctoral européen EPHE — TU Dresden

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors que le qualificatif d’« orientaliste » est depuis longtemps employé pour désigner tout peintre du XIXe siècle qui s’est inspiré de l’Orient, il semble saugrenu lorsqu’il est associé au mot « architecte ». Pourtant, l’orientalisme architectural constitua une véritable mode au XIXe siècle. L’étude de l’architecte orientaliste conduit à s’interroger sur le paradoxe qui existe entre le nombre relativement élevé de constructions et l’indifférence dans laquelle sont maintenus leurs créateurs (2). En outre, l’orientalisme architectural fut un style si protéiforme qu’il est difficile d’imaginer un seul type d’architecte. La variété des réalisations orientalistes reflète sans doute plus que les autres néo-styles de l’époque la personnalité de l’architecte, les différentes façons dont il intégra et utilisa ce vocabulaire architectural, que ce soit dans la pierre ou dans les livres. Cette étude vise néanmoins à définir des similitudes entre des architectes dans leur carrière que dans les raisons qui les poussèrent à utiliser un style si particulier.

 

 

 

 

L’absence de formation

 

 

La plupart des architectes dont il est question sont passés par l’École des beaux arts où ils ont reçu une formation académique. Le romantisme puis le positivisme ambiants favorisent, chacun à leur façon, la découverte et la reconnaissance d’autres civilisations et les architectes ne restent pas étrangers à ce mouvement. Cependant, si l’enseignement de l’histoire de l’art à l’école des beaux-arts évolue au XIXe siècle, l’art et l’architecture musulmans n’y sont à aucun moment intégrés (3). De plus, la première moitié du siècle s’avère encore assez pauvre en publications portant sur cet art et est marquée par l’absence de bibliothèque, principal lieu de consultation de ce type de livres inaccessibles à un élève architecte.

 

Ainsi, pour la première génération d’architectes orientalistes et dans une moindre mesure pour la suivante, la découverte de l’architecture islamique ne peut se faire de façon indirecte ; l’expérience du voyage est déterminante.

 

 

 

 

Les voyages

 

 

Voyager en Orient constitue le principal moyen d’être confronté à cet art inconnu. Dans le premier tiers du XIXe siècle, les voyageurs sont frappés par l’architecture andalouse, l’Alhambra surtout, et l’architecture sicilienne des XIIe et XIIIe siècles, « à moitié islamique, à moitié normande, à moitié classique », selon les mots de Viollet-le-Duc. Une fois l’Algérie pacifiée et la Tunisie intégrée à l’Empire français, l’architecture du Maghreb suscite à son tour l’admiration des architectes. Les occasions pour de tels voyages sont en outre nombreuses car au XIXe, il n’est pas rare pour un jeune architecte d’accompagner en mission d’exploration un érudit célèbre et de l’aider dans son travail. Ainsi, Pascal-Xavier Coste (1797-1879) encouragé par son ami Edme-François Jomard, géographe de l’Expédition d’Égypte, quitte la France pour Le Caire en 1817 et reste jusqu’en 1827 au service de Mehmed Ali, vice-roi d’Égypte. Vingt ans plus tard, il accompagne le comte de Sacey en Perse. Ces voyages donnèrent naissance à deux ouvrages importants dans l’histoire de l’orientalisme, L’Architecture arabe ou les Monuments du Caire et les Monuments modernes de la Perse. De la même façon, Eugène Viollet-le-Duc encourage son élève Edmond Duthoit (1837-1889) à partir en mission en Palestine avec l’archéologue Melchior de Vogué. Ce premier voyage en 1861 marque profondément le jeune architecte et sera suivi de nombreux autres au Levant puis au Maghreb. Le cas d’Henri Saladin (1851- ?) est également exemplaire car, après avoir quitté l’École des beaux-arts en 1879 et découvert l’Orient dans le cadre d’une mission, il est envoyé en 1882-1883 en mission archéologique en Tunisie avec l’archéologue René Cagnat. Ce voyage détermine le reste de sa carrière comme nous le verrons plus loin. Il serait facile de multiplier les exemples tant il est vrai que cette expérience, extraordinaire à cette époque, influença profondément l’art encore peu formé de ces jeunes architectes.

 

 

 

 

Les études et les travaux scientifiques

 

 

Pour les générations suivantes, l’architecture musulmane peut être appréciée plus facilement puisqu’à partir des années 1850, de nombreuses études sont publiées et acquises par les bibliothèques comme celles de l’École des beaux-arts (fondée en 1863) et de l’Union centrale des arts décoratifs . En outre, de nombreux anciens élèves de l’École des beaux-arts font don de leurs carnets de dessins afin d’offrir aux élèves un répertoire complet de modèles. Pascal Coste et Jules Bourgoin ont ainsi donné des dessins représentant des monuments et des éléments de décor arabe. Il est malheureusement impossible de savoir si ces ouvrages et ces carnets étaient consultés par les élèves car de telles indications sont absentes des registres des bibliothèques. Mais l’étude de certains projets rendus de concours d’émulation nous permet de croire qu’ils l’étaient au moins partiellement. Ainsi, Alexandre Marcel exécute en style orientaliste un programme de bains publics donné en 1880. En 1887 et en 1905, l’utilisation de ce style est rendue nécessaire par l’intitulé même des sujets, un hammam puis une mosquée. Il reste un projet rendu du Hammam par Jules Astruc . L’étude de la façade laisse à penser qu’Astruc réalisa un pot-pourri à partir d’exemples pioches dans différents sources. La coupole de son hammam s’inspire des monuments persans tandis que la porte d’entrée est un emprunt évident à l’architecture andalouse.

 

Le projet rendu de la mosquée par Edmond Navarre nous permet, quant à lui, de mesurer la place croissante de l’orientalisme. En effet, sa mosquée reproduit des éléments d’architecture maghrébine comme les coupoles aplaties percées de baies en saillie qui n’avaient encore jamais été utilisés par les orientalistes. On peut sans doute y déceler l’influence des publications des missions archéologiques menées en Algérie puis en Tunisie à partir des années 1860.

 

 

 

 

Les revues et les expositions universelles

 

 

Les revues d’architecture ont, elles aussi, joué un rôle dans la diffusion, parmi les architectes, des modèles de l’architecture islamique. En effet, les principales revues comme la Revue générale d’architecture et des travaux publics, l’Encyclopédie d’architecture ou la Gazette des architectes et du bâtiment publient régulièrement des articles souvent illustrés sur l’architecture orientale ou sur quelques réalisations orientalistes. D’après le rapport de 1866 que rédigea le premier bibliothécaire de l’École des beaux-arts, Vinet, concernant la répartition des bulletins de demande d’ouvrages de la bibliothèque, les revues d’architecture comptent parmi les plus demandés. On peut penser qu’il en fut de même les années suivantes et en déduire que les élèves ont pu y découvrir des formes et des motifs qu’ils ignoraient.

 

Enfin, les expositions universelles jouent vraisemblablement un rôle majeur— mais peu mesurable — dans l’appréciation de cette mode. Une partie de l’attention se concentra à chaque exposition sur les pavillons orientaux, de plus en plus nombreux et mettant en scène les architectures du monde arabe et persan. Les abondants commentaires et publications dans la presse contemporaine illustrent cet intérêt mêlé de curiosité. Mais cette fois encore, il est difficile de déterminer précisément l’influence de cette architecture éphémère sur les architectes ; toujours est-il qu’elle contribua à familiariser le public avec d’autres modèles que l’Alhambra, référence reine de l’orientalisme, comme les architectures égyptienne et maghrébine. De plus, les matériaux de ces pavillons étaient réutilisables pour des décors de constructions durables. Ainsi, Jacques Drevet, architecte de la section égyptienne en 1867, remploya des mucharabieh-s d’un pavillon pour la villa du sculpteur Charles Cordier à Orsay.

 

Ces différents sources permettent sans doute aux architectes de compenser l’absence d’enseignement académique. Mais la découverte de l’orientalisme ou de l’architecture islamique reste une expérience très personnelle. S’il est vain de vouloir déterminer un type d’architecte orientaliste, des rapprochements entre certaines personnalités et des similitudes dans la pratique de l’orientalisme peuvent cependant être établis.

 

 

 

 

 

 

Essai d’une typologie : les théoriciens

 

 

Les architectes qui ont façonné l’orientalisme, dans leurs écrits ou dans la pierre, peuvent être répartis en plusieurs groupes. Une des caractéristiques de cette mode est l’importance des théoriciens. La diffusion d’un néo-style nécessite préalablement l’étude de l’architecture originale. Les architectes-voyageurs se sont donc attachés à retracer l’évolution de l’architecture musulmane et à distinguer les différents styles (égyptien, mauresque, ottoman ou perse). En outre, il est possible qu’une carrière littéraire et scientifique en tant qu’orientaliste ait représenté pour ces érudits un moyen d’éviter un insuccès presque certain en tant qu’architecte orientaliste. En effet, malgré une certaine reconnaissance scientifique, l’architecture musulmane est jugée élégante mais légère et peu sérieuse et il paraît difficile pour un architecte d’être couronné de succès s’il se spécialise dans l’orientalisme.

 

Pascal Coste, Jules Bourgoin (1838-1907), Léon Parvillée (1830-1885) et, dans une moindre mesure, Henri Saladin sont les principaux représentants de l’architecte-théoricien. Lors d’une mission en Égypte en 1866 Jules Bourgoin, élève de l’École des beaux-arts, réalise des dessins d’architecture arabe qui serviront de support à son premier traité, Les Arts arabes. Enthousiasmé par ce qu’il a découvert, il décide d’abandonner sa carrière d’architecte pour se consacrer exclusivement à la recherche. Léon Parvillée ne renonce pas totalement à son métier mais, après plusieurs séjours en Turquie (en 1851 puis en 1855 jusqu’en 1867), il se tourne vers la production de céramique tout en écrivant un traité sur l’architecture ottomane, Architecture et décoration turques au XV siècle. Enfin, Henri Saladin n’est pas à proprement parler un théoricien comme le furent les deux précédents, mais il contribua par ses écrits sur l’architecture tunisienne à sa connaissance.

 

 

 

 

 

 

Les éclectiques

 

 

La deuxième catégorie d’architectes peut se définir comme l’opposé de la première. Il s’agit ici d’architectes ne connaissant pas l’Orient et pour lesquels l’orientalisme est une composante de l’éclectisme. On leur doit la plupart des édifices orientalistes en France. Il existe cependant des différences considérables entre, par exemple, Alexandre Marcel qui se définit lui-même comme orientaliste, et deux architectes éclectiques comme William Klein et Albert Duclos (1842-1896), auteurs de deux édifices célèbres à la fin du XIXe siècle, le Hammam et l’Eden Théâtre. Ceux-ci se sont frottés à l’orientalisme de façon ponctuelle tandis que le premier doit sa brillante carrière à sa maîtrise des architectes étrangères.

Cependant, le traitement assez peu rigoureux des références architecturales utilisées et l’absence de réflexion sur le possible renouvellement de l’architecture française (par l’utilisation de ce vocabulaire architectural) réunit ces architectes.

 

 

 

 

 

Deux « orientalistes »

 

 

Deux cas particuliers font le lien entre ces ensembles homogènes. Edmond Duthoit et Ambroise Baudry (1838-1906) ont l’un et l’autre construit en style orientaliste et acquis une connaissance approfondie de l’architecture islamique grâce à aux années passées l’un entre l’Orient et l’Algérie, l’autre en Égypte. Leur compréhension de l’orientalisme est cependant très différente puisque Baudry reproduit dans ses réalisations orientalistes ce qu’il a connu et apprécié en Égypte tandis que Duthoit cherche à créer une architecture nouvelle en combinant ce qu’il connaît. Duthoit poursuit les travaux de Bourgoin tout en mettant en pratique le fruit de ses réflexions tandis que l’intérêt de Baudry pour l’architecture islamique se manifeste par une fidélité exceptionnelle pour l’époque à ses modèles. Ainsi, le projet de mosquée à Paris qu’il élabore en 1896 s’inspire largement de la mosquée de Qâtbay du Caire Entre ces figures, plus ou moins architectes et plus ou moins orientalistes, il est intéressant de mettre en évidence les similitudes de leur parcours.

 

 

 

 

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projet de mosquée à Paris, Ambroise Baudry, 1895

 

 

 

 

 

 

Des architectes orientalistes, plutôt

 

 

Les ressemblances entre ces architectes découlent de la difficulté à réaliser des édifices orientalistes autres que les sempiternels bains, lieux de plaisirs ou cafés. La plupart des architectes trouvèrent en revanche hors d’Europe des conditions favorables à la réalisation de projets plus ambitieux. Léon Parvillée, Ambroise Baudry, Alexandre Marcel ou Jacques Drevet ont tous, plus ou moins longtemps, travaillé dans des pays en pleine mutation comme la Turquie et l’Égypte où les gouvernements encouragent la venue d’architectes européens (quelques exemples allemands sont célèbres comme Diebitsch qui vécut au Caire de 1862 jusqu’à sa mort en 1869 ou encore Franz Schmitz, architecte du khédive Ismail). Ambroise Baudry réalise ainsi ses premières maisons orientalistes au Caire pour des commanditaires tant européens qu’égyptiens. Alexandre Marcel obtient également un succès considérable grâce à la réalisation du quartier européen du Caire, Héliopolis où il construit plusieurs villas orientalistes. La relative liberté dont jouit l’architecte dans ces pays et l’engouement des classes dirigeantes réformatrices pour les modes architecturales européennes (y compris l’orientalisme) expliquent l’attraction exercée sur les architectes orientalistes.

 

 

 

 

 

 

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Alexandre Marcel, Palais du prince Hussein, façade sur l’avenue des Palais, Héliopolis, Paris, 25 avril 1908

Source: Les Collections électroniques de l’INHA

 

 

 

Certains architectes ont également en commun d’avoir créé une relation particulière avec leur commanditaire, dans laquelle se mêle confiance et exigence d’authenticité. Le degré d’orientalisme conféré à une œuvre dépend en effet directement des désirs du maître d’ouvrage et détermine la marge de manœuvre de l’architecte. Celui-ci peut en effet donner libre cours à ses talents lorsque le commanditaires souhaite recréer un univers « authentiquement » oriental. Certaines pièces créées par Edmond Duthoit dans le château d’Abbadia, les aménagements d’intérieurs parisiens de Baudry ou des décors de Parvillée font partie des plus belles réalisations orientalistes dans la mesure où l’architecte et le commanditaire parlent d’une même voix.

 

 

Enfin, la place de l’État dans la carrière d’un architecte constitue un point important. La réalisation lors des Expositions universelles de pavillons exotiques de plus en plus conséquents peut marquer le début d’une carrière d’orientaliste ou consacrer une réputation : ainsi, le pavillon espagnol mi-baroque mi-mauresque et la reconstitution du temple d’Angkor Vât en 1900 déterminent la vocation d’Alexandre Marcel tandis qu’Henri Saladin est chargé de la construction en 1889 et 1900 du pavillon de la Tunisie en raison de sa connaissance de cette architecture. La commission des monuments historiques, à laquelle appartiennent Duthoit, Ballu et Saladin, apparaît comme un autre cadre privilégié de cette mode puisque les architectes envoient régulièrement des relevés de leurs travaux au Salon. À l’instar de constructions orientalistes, ces dessins contribuent à diffuser un vocabulaire nouveau.

 

 

L’architecte orientaliste s’avère ainsi, par certains aspects, un praticien particulier. Il faut dès lors s’interroger sur les raisons qui le poussent à participer à cette mode.

 

 

 

 

 

 

 

Intérêt de la théorie ou facilité de l’architecture ?

 

 

Les architectes-théoriciens voient dans l’orientalisme un des éléments permettant de renouveler l’architecture française par la réutilisation du système ornemental arabe. Bourgoin, Parvillée et Duthoit ont ainsi démontré l’existence, dans les compositions ornementales, de règles dérivées de la géométrie élémentaire. De façon évidente pour Duthoit mais moins pour les deux autres, ces découvertes s’ancrent dans la réflexion analytique sur l’architecture amorcée par Viollet-le-Duc, celui-ci soutenant ces thèses pour entamer un peu plus la prééminence de la tradition classique. La préface par Viollet-le-Duc des ouvrages de Bourgoin et Parvillée ainsi que son long compte rendu des Arts arabes de Jules Bourgoin dans la Gazette des Architectes est d’ailleurs significatif. Il existe ainsi une véritable filiation intellectuelle entre ces personnalités. Imprégné des préceptes de son maître, Duthoit a étudié l’art ornemental islamique à l’aide des instruments intellectuels de l’école rationaliste. Bien plus que la construction des édifices, il admire « la science décorative des Arabes » dont il s’inspire dans ses réalisations (aussi bien au château de Roquetaille qu’à Abbadia) car elle découle des principes universels de la décoration.

 

Elle peut ainsi être intégrée à n’importe quelle composition afin d’élaborer un nouveau vocabulaire ornemental.

 

La majorité des architectes aborde cependant l’orientalisme d’une toute autre façon. L’œuvre d’Alexandre Marcel illustre une des contradictions de l’architecture du XIXe siècle : l’intégration de formes nouvelles ne permet pas de renouveler les problématiques architecturales. Lui et les autres passent aisément d’un exotisme à un autre en fonction du programme imposé. Ils cèdent ainsi au goût de leurs contemporains en édifiant des édifices qui les transportent dans un Ailleurs fantasmé. Albert Duclos est mentionné dans différents dictionnaires d’architectes avant tout comme l’auteur du Hammam et l’Eden Théâtre. Ces deux réalisations marquent fortement une carrière plutôt banale. Les architectes chargés des pavillons orientaux trouvent aussi dans ces occasions le moyen de sortir un moment de l’immense anonymat de la profession. Cette gloire éphémère se manifeste par diverses décorations et récompenses et par des articles dans les journaux. Drevet est l’archétype de l’architecte moyen, qui connaît ses principaux succès en 1867 avec la section égyptienne et en 1878 avec la construction de la partie du Syndicat oriental (Siam, Perse, Chine) de la rue des Nations.

 

 

Hybride, l’architecte orientaliste oscille sans cesse entre le plaisir de créer une architecture séduisante et la volonté de trouver une justification rationnelle à son utilisation. Il n’a pas été question dans ces lignes des nombreux architectes qui ont puisé discrètement aux sources de l’Orient mais les mentionner, aux côtés de ceux qui ont été cités dans ces lignes, aide à comprendre la perception et l’utilisation extrêmement variées de ce style par les architectes du XIXe siècle. Entre des attitudes contraires se trouve un large éventail de jugements, écho et origine de la diversité de l’orientalisme en France.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1. Nous ne nous intéresserons, dans ces lignes, qu’aux architectes qui ont construit au moins deux édifices significatifs dans ce style et laissons volontairement de côté tous ceux pour qui il ne représente qu’une parenthèse, à la fois dans leur œuvre et dans le jugement des contemporains. Ainsi, il ne sera pas question de Charles Rohault de Fleury, auteur de l’Hippodrome national en 1845, pourtant un des premiers édifices marquants de cette mode.

 

 

 

2. Des monographies récentes ont cependant permis de connaître mieux la carrière de certains d’entre eux comme Pascal-Xavier Coste ou Ambroise Baudry.

 

 

 

3. Dans une lettre adressée au directeur de l’École des beaux-arts en 1892, à l’occasion d’un don de dessins de Jules Bourgoin, Eugène Miintz, bibliothécaire de l’École, indique que « ces documents [des dessins de monuments arabes du Caire] ne rentrent qu’indirectement dans le programme de l’enseignement donné à l’École des beaux-arts », Arch. nat., AJ52 447.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




La Grande Mosquée de la Zitouna

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 La Grande Mosquée de la Zitouna dans Architecture & Urbanisme pt106601.1315236.w630

© Jean Aillos

 

 

 

 

 

 

 

 

Située au cœur de la ville, la Grande Mosquée, appelée aussi el-Zitouna, mosquée de l’Olivier, est le plus vaste et le plus vénérable sanctuaire de Tunis sa fondation se confond avec celle de la cité (78/698). Elle bénéficia de grands travaux, menés en 113/732 par le gouverneur Abdallah Ibn el-Habhab, auquel certaines sources attribuèrent à tort cette fondation. C’est à l’émir aghlabide Abou Ibrahim Ahmed que nous devons l’essentiel du monument actuel. Ce prince démolit complètement la première mosquée et la rebâtit.

 

Comme la mosquée de Kairouan, la Zitouna répond au plan dit basilical dans lequel les nefs se dirigent en profondeur, perpendiculairement au mur de fond. C’est un type qui apparaît de bonne heure en Syrie-Palestine dans la mosquée el-Aqsa à Jérusalem. Comme Kairouan, la salle de prière hypostyle est précédée d’une cour, sahan, le plafond en charpente repose sur 184 colonnes et chapiteaux antiques délimitant 15 nefs de 6 travées. Les éléments antiques employés dans cet édifice proviennent pour l’essentiel des ruines de Carthage. Leur utilisation atteste de l’ingéniosité des architectes du IIIe/IXe siècle qui, à partir d’éléments épars, créaient des œuvres d’une parfaite harmonie. La nef médiane ainsi que la nef transversale du transept sont plus larges que les autres et se croisent à angle droit au-devant du mihrab. La figure en T créée par ces deux nefs est à rapprocher, selon certains historiens de l’art, de basiliques telle celle de la Nativité à Bethléem. Le devant du mihrab est marqué par une coupole datée par inscription de 249/864.

Elle présente de l’extérieur une calotte à cannelures qui repose sur un tambour octogonal, supporté par une base carrée. Une inscription, également du IIIe/IXe siècle, court en frise le long de la façade de la salle de prière.

 

La mosquée était entourée d’un mur de pierre en gros appareil; deux tours d’angle, dont l’une est encore visible à l’angle nord-est situé à droite de l’entrée principale, attestent du rôle défensif que jouaient les premières mosquées. Parmi les six portes qui donnent accès à la mosquée, la porte de l’Imam, donnant sur le souk de Laine, présente un encadrement romain, décoré de feuilles d’acanthes où l’on remarque la suppression par martelage de certains motifs figuratifs.

 

Aux Fatimides, ou plutôt aux Zirides, la Zitouna doit le narthex et la coupole du bahou qui marque l’axe de la façade. L’apparition des assises alternées bichromes n’est pas sans nous rappeler Cordoue ou les monuments omeyyades de Syrie-Palestine, comme la Coupole du Rocher; à moins que nous n’assistions là à la reviviscence d’une tradition locale dont nous avons une représentation dans une mosaïque romaine du Bardo. La profusion des niches rattache la coupole à l’art fatimide.

 

Au Ve/XIe siècle, les Beni Khourassan ouvrirent largement la mosquée sur son environnement en augmentant de 6 à 12 le nombre des portes. Celle donnant sur le souk el-Attarine est surmontée d’une inscription la datant de 473/1080. Les interventions des Hafsides ont enrichi la Zitouna d’éléments décoratifs hispanomauresques à entrelacs géométriques tels ceux réalisés sur les boiseries des portes isolant la salle de prière de la cour: Œuvre de Abou Yahya Zakariya. De cette époque, date la belle façade aux fenêtres géminées de la bibliothèque de Abou Amr Othman, formant l’angle sud-est à l’extrême gauche de l’entrée principale. Cette période a connu un important accroissement démographique, ce qui a nécessité l’aménagement d’une cour latérale à l’est.

 

 

 

 

 

 

 

 43878695_2095288743849443_2358486032518742016_n dans Architecture & Urbanisme

Rare : La mosquée Zitouna du temps de l’ancien minaret – 1880 - 

©Webdo Tunis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aux époques turque et husseinite, seules trois interventions architecturales méritent d’être signalées parce qu’elles ont modifié l’aspect de l’édifice. Il s’agit de la couverture de la cour latérale ainsi que de l’embellissement des trois galeries de la cour principale et du minaret. En 1096/1685, l’imam el-Bekri ordonna la couverture de la cour latérale par un plafond plat, soutenu par une triple colonnade à chapiteau hafside en kadhal, pierre calcaire locale. Le Premier ministre Khaznadar dota les trois galeries de la cour principale de colonnes à chapiteaux composites en marbre blanc d’Italie, directement importé de la Péninsule, comme il était désormais d’usage pour tout le marbre utilisé dans les constructions tunisiennes. La dernière retouche apportée à ce prestigieux monument fut l’édification du minaret actuel qui remplaça un minaret plus modeste. La tour actuelle mesure 43 m et reprend le décor du minaret almohade de la mosquée de la casbah.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 







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