Architecture Berbère – 1ère partie –
1 01 2021
On ne peut nier l’existence d’une architecture berbère, un art qui présente de multiples facettes qui a pu subir quelques contagions, mais un art qui, des côtes de l’Atlantique à la Libye, affiche sa parenté, celle d’une civilisation que le temps ni les aléas de l’Histoire n’ont pas condamnée ; étonnante pérennité qui a subi, à toutes les époques, l’assaut de l’étranger sans se laisser emporter par le vent de l’Histoire.
Cet art ne se manifeste pas par des monuments prestigieux aux imposantes dimensions et au décor somptueux. Il n’utilise pas de matériaux nobles tels que le marbre, la pierre de taille, le bronze, le cuivre, voire l’or ou la céramique émaillée, il n’a ni la puissance des réalisations antiques, ni la hardiesse des cathédrales médiévales. S’il fallait définir en un mot cette architecture, nous dirions qu’elle est essentiellement familiale, ce terme signifiant aussi bien la famille nucléaire que la tribu. Point de réalisations royales qui mettent en œuvre des centaines d’esclaves et qui utilisent les techniques les plus perfectionnées. On utilise le matériau trouvé sur place, la terre, qui, deviendra le pisé, les cailloux, ramassés sur la hamada ou sur les pentes de la montagne, le bois des palmiers, des cèdres ou des pins des forêts du Haut ou du Moyen Atlas. Certes, l’architecture religieuse subi les contraintes imposées par la tradition islamique, mais elle marque son originalité dans des formes très particulières, pratiquement inconnues ailleurs, telles les mosquées du Mzab ou du Sud Algérien ; mais, les réalisations les plus spectaculaires sont sans doute ces grands palais du Haut Atlas marocain ou ces greniers-citadelles des ksours, de l’Aurès ou du Sud Tunisien.
Mosquée et zaouïa à Jerba (photo G. Camps).
Mosquée de Beni Isguen (Mzab) (plan Y. Bonète).
L’art religieux
Nous ne retiendrons que les monuments les plus typiques.
Les mosquées de Djerba : dispersées dans la palmeraie, les anciennes mosquées de Djerba (ancienneté toute relative) ont subi l’influence de la Libye toute proche ; elles en ont retenu la forme des minarets ronds effilés, peu élevés, coiffés d’un dôme, les salles de prière trapues, couvertes de coupoles, les cours exiguës. Construites en pierre et blanchies à la chaux, elles ne sont sans doute pas vraiment représentatives de l’art berbère ; on y trouve des influences ottomanes certaines, celles surtout des provinces autrefois rattachées à la Sublime Porte et plus précisément celles des villages du Haut-Nil, de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine.
Les mosquées du Mzab : Beaucoup plus étonnantes sont les mosquées du Mzab juchées au sommet de la cité, leur minaret en tronc de pyramide effilé dressé sur le ciel. Le plan complexe de la Grande Mosquée de Ghardaïa atteste de nombreux remaniements et plusieurs agrandissements ; tous les murs sont gauches, probablement en raison de la déclivité du terrain ; les alignements de piliers dans la salle de prière sont très rarement assurés, la cour, réduite et amputée par trois nefs est de guingois ; les piliers sont reliés par des arcades grossièrement façonnées disposées dans le sens nord-sud. Pas de décor. Les matériaux sont le pisé et la brique, la couverture est composée de troncs de palmiers supports de terrasses, mais on rencontre également des voûtes d’arêtes, voire des plafonds de pierres plates. Une section est réservée aux Ikhouān, une autre est destinée aux femmes. Le minaret se trouve en partie dans l’oratoire ; enduite de multiples couches de chaux superposées, la tour se dresse, carrée, s’effilant vers le haut, terminée par quatre pointes angulaires. A ses côtés existe toujours la petite cour en tronc de pyramide, sans doute aussi âgée que la mosquée. Deux miḥrâb-s ouvrent sur la cour… Plus réguliers se présentent les plans des autres mosquées principales de la pentapole : Celui de Beni Isguen, où l’on décèle divers agrandissements, se développe en largeur sur environ 63 mètres et en profondeur sur 26 mètres ; son minaret assez semblable à celui de Ghardaïa se trouve en partie dans l’oratoire, bordé au nord et à l’ouest par une petite cour, les salles d’ablution sont en sous-sol. Plus petites sont les mosquées de Mélika, de Bou Noura, d’El-Atteuf. Outre ces oratoires, il faut mentionner la très belle mosquée dite de Sidi Brahim, aux angles arrondis et aux murs percés de lucarnes et également la mosquée funéraire du cimetière de Beni Izguen avec ses multiples arcades ; puis les oratoires éloignés dans la palmeraie de Beni Izguen ou d’El-Atteuf. Toutes ces curieuses constructions, blanchies à la chaux, avec leurs arrondis, leurs ruptures de volumes, leurs ouvertures distribuées un peu n’importe comment, évoquent une architecture révolutionnaire et l’on a pas manqué d’y voir des créations d’avant-garde du type « Le Corbusier ».
Ghardaïa (Mzab), vue générale (photo L. Golvin).
Dans les confins du Sahara algérien, il faut citer les beaux minarets de terre de Bou Chagroun, dans les Zibans, ceux de Sidi Khalif, de Doucen (Ziban), ce dernier très élevé, et en tronc de pyramide qui évoque celui de terre, aujourd’hui disparu, d’Ouled Djellal, la curieuse tour d’El-Bordj qui, sur une base carrée en briques cuites, possède un fût prismatique prolongé d’un cylindre porteur d’un lanterneau, le minaret de Temmacin, l’un des plus beau du Sud Algérien offre une tour carrée construite en briques appareillées en réseaux losangés apparemment inspirés par le Maroc.
On doit également citer les mosquées du Souf aux multiples coupoles grises boursouflées, semblables à des nids d’hirondelles, ou lisses et blanchies à la chaux, leurs tours peu élevées, carrées, leurs cours étroites où les élèves se groupaient autour du mu‛allem, à l’ombre du minaret, aux heures chaudes de l’été.
A Melika, on notera les étranges tombeaux de Sidi Aïssa dressant sur le ciel des espèces de cierges arrondis enduits de multiples couches de chaux et, à Metlili des Chaamba, de pittoresques coupoles à pinacles.
Cette architecture religieuse n’a nulle part son équivalent en pays arabe et, si l’on veut, çà et là, déceler des emprunts à des types connus au Maghrib, elle a suffisamment de caractère pour se distinguer nettement de l’art dit arabe, celui de l’Ifrîqiya influencé par l’Orient ou celui du Maghrib al-Aqṣâ marqué par l’art de l’Espagne musulmane. Il est à noter que les grandes dynasties berbères qui régnèrent sur l’Afrique du Nord, Zîrides, Ḥammādides, Almoravides, Almohades, Ḥafṣides, Marinides et Abd al-Wādides, ont adopté d’emblée et sans exception l’art de l’Orient ou celui de l’Occident hispano-musulman, tandis que se perpétuait, au Sahara, une architecture religieuse rurale sans doute définie dès le haut Moyen Age.
Référence :
L. Golvin, « Architecture berbère », Encyclopédie berbère [En ligne], 6 | 1989, document A264, mis en ligne le 01 décembre 2012 ICI
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