Anthroponymie Touarègue – 1ère partie –
7 09 2020Dénominations Multiples des Individualités
Le nom donné au septième jour de la naissance de l’enfant touareg est soit un nom touareg soit un nom arabo-musulman. Il est très fréquent qu’à ce premier nom officiel soit ajouté un surnom au fil des années, surnom qui prend souvent une telle importance qu’il se substitue au nom de « baptême » au point de l’éliminer complètement. On verra les multiples raisons qui aboutissent à la création des surnoms, descriptifs et chargés d’informations diverses.
Les homonymes ont une place particulière dans la désignation d’interlocuteurs, avec ou sans réciprocité. Il n’est pas rare aussi que les circonstances obligent à dissimuler la véritable identité d’un individu qui est alors désigné par un pseudonyme.
Ainsi dans cette société berbère, à l’écart de celles des régions berbères septentrionales, on observe des processus de nomination très particulières, inconnues ailleurs.
Nom, surnom, homonyme et pseudonyme sont conformes à ce qu’on observe dans la lexicologie habituelle en touareg, onomastique et noms communs, quant à la morphologie.
I. MORPHOLOGIE
On distingue deux types d’énoncés : les énoncés simples et les énoncés complexes.
- énoncé simple à une seule unité linguistique:
Il s’agit de noms masculins (H) et féminins (F). Les noms masculins commencent généralement par une voyelle, comme tous les mots masculins, mais aussi par une consonne : Alad, Firhurt, Musa …
Les noms féminins ont généralement, à l’initiale comme pour les noms communs, un t- ou n’importe quelle autre consonne, particulièrement s’il s’agit de noms musulmans : Temilewlew, Tarifa, Fatima , Khawa / Hawa, Khadidja…
Cette unité peut être un verbe conjugué :
Idder « il a vécu », Issham « il vaut mieux », Tendew « elle a été rejetée », Tebbibel « elle a tout en abondance ».
- énoncé complexe à plusieurs unités :
Il s’agit de modalités syntaxiques associées à un nom ou à un verbe, pouvant se combiner entre elles:
wer particule de négation « ne… pas » + verbe ;
d particule d’approche « par ici » + verbe ;
wa / ta « celui / celle », wi / ti « ceux / celles », pronoms démonstratifs associés à la particule de détermination n + nom, ou à un participe ;
un pronom + verbe :
Wer-Ilemmed » il n’apprend pas » < du verbe elmed « apprendre » ;
Wer-tenezzu « elle n’est pas à vendre » < du verbe enz « vendre / acheter » ;
Tusa-d « elle est venue ici » < du verbe asu « venir / aller à » ;
Sâllin-tät « ils entendent parler d’elle’ » < du verbe eslu « entendre » ,
lr-e-Yalla « Dieu l’aime » < du verbe eru « aimer » ;
Wa-d-yusän « celui qui est arrivé ici » < du verbe asu « arriver » ;
Ta-n-anzad « celle au violon, la joueuse de violon » = « la violoniste » ;
Wa-ismudän « celui qui fait faire la prière » < du verbe mud « prier » ;
Ta-lemmidät « la fragile » (participe du verbe lemmed « être frêle »).
Ces noms composés très abondants sont le plus souvent des surnoms (cf. plus bas).
Il peut s’agir de termes de parenté associés à un nom propre auquel il est relié par un tiret – composé à valeur anthroponymique — ou, sans tiret, à un nom commun
ag , aw « fils de » ;
welet / shet « fille(s) de » ;
kel « gens de » ;
Bazo ag-Alkhu « Bazo fils d’Alkhu » ;
ag lakkol » fils de l’école » = « écolier » ;
aw temajäq « fils de Touareg » ;
shet akal « filles du pays » ;
kel-Azawagh « les gens de l’Azawagh« .
En règle générale, les éléments constituant les anthroponymes et les toponymes composés sont reliés par des tirets, à la différence de ceux qui forment des noms communs auxquels on applique le principe de notation des nominaux ordinaires.
II. LE NOM ésem
En touareg, l’appellation générique du nom est esem (pl. ismawän ) d’origine arabe ; il est phonétiquement réalisé esem , isen / isnawän suivant les parlers. Selon les régions, on dit aussi ésem wa n agazam « nom de l’égorgement » dont la victime est généralement un mouton pour consacrer toute nomination ; ce premier nom est appelé également ésem wa n eddin « nom de la religion », ou encore ésem khalâlän « nom licite / béni ». On emploie aussi l’expression ésem wa n téséghert « nom du choix », rappelant diverses pratiques de tirage au sort d’un nom parmi d’autres. Il est attribué à l’enfant au septième jour de sa naissance selon des rites cérémoniels et de choix qui peuvent varier d’une région à une autre.
Il peut être d’origine touarègue ou d’origine arabo-musulmane.
1. Noms d’origine touarègue :
Il y a ceux qui sont sans signification apparente mais rappellent des personnages célèbres du type Bazo , Kawa , Attafrish , Firhun…
Beaucoup d’autres ont des référents repérables, se présentant sous forme d’énoncés simples. Ils sont « motivés » et peuvent référer à la faune sauvage, au monde végétal et minéral, au monde astral…
a. la faune sauvage :
Amdagh « girafe » (H), Elu « éléphant » (H), Akundar « rat » (H), Akotay « gerboise » (H), Tibeggit « chacal femelle » (F), Teneri « antilope mohor » (F), Tidemit « biche » (F).
b. le monde végétal :
Telagasî « coloquinte » (F), Aboragh « savonnier, faux dattier » (H), Tesakenî « jeune dattier » (F), Tadamamte »de datte » (F), Takukent « gommier » (F).
c. le monde minéral :
Ekade « pierre » (H), Agentar « petit vallon » (H), Tawirayt « petit caillou » (F), Ewel « fragment de poterie / tesson » (H) ; Téwelt « petit tesson » (F) ; I-n-ézed / l-n-ezedän « un des cendres » (H).
d. le monde astral :
Tallit « lune » (F), Ayyur « lune » (H), Tatrit « petite étoile, étoile du berger » (F), Amanar « guide, Orion » (H), Madel « Voie lactée » (F) ; Ta-n-ennurän « celle des lumières » (F).
e. références diverses :
Emmah « prunelle » ; Téssé « fait de boire, boisson » (F) ; Anar « sourcil » (H) ; Amankay « celui assurant la charge sociale, le responsable » (H).
• référents physiques
Elbak / Ilbak « il est très maigre » = « le maigre » ; Gezzulän « le court, petit » ; Sedidän / Wa Sedidan « le mince » ; Tekna « elle est parfaite ».
• référents saisonniers :
Manna « sécheresse, famine » (F), Gharat « moisson, saison sèche » (F) ; Akasa « herbe fraîche / pâturage » (H) (saison des pluies).
• référents temporels, jours de la semaine :
Elkhad « dimanche » (H), Alitnin « lundi » (H), Altanata « mardi » (F), I-n-anarba « un de mercredi » (H), Narba < Anarba « mercredi » (F)…
• références à des objets :
Alessho « tissu indigoté » (H), Taneghmit « safran » (F), Tameghwant « perle, coquillage blanc » (F).
• références à divers concepts :
Elkher « paix » (H), Oummalkher « celle de la Paix » (F), Issham « il vaut mieux » (H), Irzagh « il porte bonheur » (H), Agg-azum « fils du Carême » (H), Awi « apporte » (H). Ur-t-orden > Uttorden « on ne l’a pas espéré » = « l’inespéré ».
Remarques :
Sauf à en connaître bien l’usage, il est souvent difficile de faire la distinction entre « nom » et « surnom » : d’une part, certains surnoms peuvent être devenus des noms à part entière consacrés par l’usage et l’oubli définitif du nom de baptême ; d’autre part certains onomen peuvent jouer le double rôle de « nom » et de « surnom » : par exemple Ahar « lion » nom d’homme qui peut être aussi un surnom et même un « pseudonyme » selon les circonstances, la nécessité et la connivence établie entre des interlocuteurs. Il en est de même, parmi beaucoup d’autres, pour Tanfust « belle action » (F), Tugdat « (celle qui est) égale en taille » (F), Takkest « après-midi » (F)…
Des noms communs peuvent devenir des noms propres : amghar « chef’, akli « serviteur », aboghelli « tributaire », ashku « enfant de serviteur »…
Des noms individualisés peuvent devenir des patronymes : Wa-tân-ofân « celui qui les surpasse » est devenu le nom de famille Watânofân.
Ces alternatives n’existent pas quand les noms sont d’origine arabe.
2. Noms d’origine arabe :
Ces anthroponymes font référence à des personnages historiques, célèbres pour leur origine coranique ; ces noms arabo-musulmans subissent des transformations phonétiques et aussi morphologiques pour correspondre aux nécessités de la langue touarègue. Ils sont aussi à l’origine de nombreux diminutifs qui peuvent devenir de simples noms :
Mukhamad > Akhmad, Akhmudu, Maman, Momo… « Prophète Mohammed » ;
Fatima > Fadimata, Fatiman, Fatti, Fattu pour « Fatima » fille du Prophète ;
Issuf pour » Yussuf » du Coran et Joseph de la Bible ;
Ghali, Aghali pour « Ali » gendre du prophète…
Ces noms, attribués le septième jour de la naissance, sont en concurrence avec les noms d’origine touarègue sans que cela intervienne dans l’appartenance à l’islam mais, comme on l’a vu, ils peuvent être « oubliés » au profit de noms ou de surnoms berbères.
Dans le cycle des histoires légendaires d’Aligurran, celui-ci interroge sa sœur par une énigme pour connaître le nom d’une femme présente, à son insu, et pouvoir la saluer. Il lui dit « neuf mois et une semaine » : sa sœur a compris qu’il s’agit du temps de gestation prolongé d’une semaine qui aboutit à l’attribution du nom (qui lui est demandé). Elle lui répond par une énigme à déchiffrer « le fleuve sans arbre » – surface brillante sans ombre – d’où le nom de la femme Temilewlew « la brillante ».
Le plus souvent, on salue une personne en utilisant un terme d’adresse ou un nom qu’on lui attribue selon les liens sociaux entretenus, à défaut de connaître son nom.
Mohamed AGHALI-ZAKARA
Source: Nouvelle revue d’onomastique, n°41-42, 2003. pp. 221-229;
….à suivre
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