La Nahda: La Renaissance Arabe Moderne
13 06 2020
C’est au Liban que débute le mouvement auquel on donnera le nom de Nahda (renaissance). Le terme évoque littéralement l’action de se lever, notamment au moment du réveil, exprimant ainsi l’idée que les Arabes se sont assoupis sur l’évocation du passé jusqu’à cette date. Le Liban entretient alors des liens privilégiés avec l’Occident, par son activité commerciale et, surtout, par la présence sur son sol de missions religieuses étrangères actives dans le domaine de l’alphabétisation et de l’instruction. Les hommes de la Nahda s’assignent la double tâche de réactualiser le patrimoine littéraire ancien et de faire connaître la littérature occidentale par des traductions ou des adaptations de textes français et anglais. Ils contribueront à introduire des auteurs européens dans le paysage littéraire arabe et à acclimater la prose fiction (roman et nouvelle) ainsi que l’art du théâtre.
Nasif al-Yaziji (1800-1871), Butrus al-Bustani (1819-1883), Faris al-Šidyaq (1804-1888) s’illustrent dans cette double entreprise de remise à jour du patrimoine littéraire et de traduction d’œuvre étrangères; ils composent également des œuvres originales nourries de ces deux expériences.
L’Égypte qui bénéficie de conditions historiques favorables prend la relève après 1880. Dès la première moitié du siècle, Muhammad ‘Ali (1805-1848) favorise le développement de l’instruction, l’envoi de missions d’étudiants à l’étranger et la modernisation du pays sur le modèle des réalisations occidentales. Cela explique l’essor pris par la culture arabe dans ce pays qui demeure de nos jours encore un phare de la vie culturelle, de la littérature en particuliers.
Les travaux accomplis par les Libanais et, près eux, les Égyptiens (dont on peut citer les noms d’al-Manfaluti [1876-1924], ou de Hafiz Ibrahim [1872-1932]) contribuent à modifier les orientations de la littératures, donnant au terme adab son acception moderne de «littérature», bien différente de celle qu’il recouvrait à la période classique. Certes, le projet de l’écrivain est clairement rattaché à une volonté réformiste o moralisatrice, et maintient un rapport fort avec le réel extérieur au texte. Mais l’adab devient le lieu par excellence de la fiction et va désormais englober la poésie, la prose narrative et l’art dramatique, dans des projets esthétiques indépendants. Ainsi, en prose, les jeux sur la langue, notamment dans le rythme et les assonances (comme dans la maqama), n’ont plus lieu d’être. On comprend alors sans peine que les tentatives d’actualisation de la maqama menées par les écrivains de la Nahda soient restées sans lendemain. La voie est libre pour enraciner de nouveaux genres, en particulier le roman et la nouvelle.
L’écrivain arabe est désormais à la pointe de l’actualité et les thématiques abordées l’inscrivent dans les débats sociaux de son époque (la réforme sociale et les luttes politiques, en particulier). Le phénomène est général. Si la poésie demeure profondément attachée aux formes anciennes de la qasida, les sujets abordés témoignent de son engagement dans les discussions qui agitent la société. Ainsi, le respect des modèles anciens pour les néo-classiques, dont Ahmad Šawqi (1868-1932) est considéré comme le représentant le plus éminent, est mis au service de réalités modernes qui ont une portée collective. Dès lors, l’activité littéraire en tant que pur exercice de style est vouée à disparaître. Dans cet esprit, Faris al-Šidyaq revisite les formes de la maqama et de la rihla dans al-Saq ‘ala al-saq (La Jambe sur la jambe), ouvrage étonnant et plein de fantaisie, et al-Muwaylihi (1868-1930) dénonce les tares de la société égyptienne dans Hadit ‘isa b. Hišam (ce que nous conta Isa ibn Hisham). Pour leur part, les romantiques et, parmi eux, ceux du Mahjar «émigration» qui s’installent outre-Atlantique au début du XXe siècle, renouvellent l’expression, loin des descriptions convenues, pour évoquer avec sensibilité les sentiments humains et les émotions individuelles.
La langue est elle aussi amenée à évoluer pour exprimer une autre réalité et d’autres objets. Elle sera modernisée pour la rendre apte à saisir dans leur vérité les mutations profondes qui leur sont contemporaines. Simplifié, dépouillé d’une ornementation excessive, augmenté de significations nouvelles, l’arabe moderne jette un pont entre les époques et les hommes tout en s’attachant à exprimer le vécu contemporain. La période profite largement de l’essor des moyens techniques pour diffuser les idées et répandre la connaissance. Car l’écrivain de la Nahda est animé par des préoccupations d’ordre didactique ou militant et il n’écrit plus seulement pour une élite mais veut s’adresser au plus grand nombre. Il participe au mouvement général qui œuvre pour diffuser les connaissances et pour élever le niveau culturel des populations. On assiste en effet, dès le XIXe siècle au développement de l’imprimerie et au formidable essor des médias qui joue, encore aujourd’hui, un rôle important dans la promotion de la littérature. La presse, tout particulièrement, ouvre ses colonnes aux écrits littéraires et aux débats d’idées, et joue un rôle dans la modernisation de la langue. Elle sera un précieux outil pour faire connaître le réformisme musulman où s’illustrent Jamal al-Din al-Afgani (1838-1897), Muhammad ‘Abduh (1849-1905), Rašid Rida (1865-1935), et facilite l’adoption de nouveaux types de discours (essais, écrits théoriques ou critiques) ou l’enracinement des genres de la nouvelle et du roman.
Laisser un commentaire