Yali. Le Soufi – Conte Persan
26 04 2020
Un soir que Yali, le pauvre soufi, avait résolu de s’offrir un bon repas et de faire cuire un vieux corbeau qui était venu mourir près de sa cabane, il alla emprunter une marmite à l’un de ses voisins.
Le lendemain, il lui rapporta l’ustensile, auquel il avait attaché un récipient plus petit, en témoignage de sa gratitude. Par discrétion, il dit :
— Ta marmite a eu cet enfant qui t’appartient.
L’homme remercia sans poser la moindre question sur cette naissance extraordinaire.
Quelques jours après, Yali qui voulait se régaler d’un poisson qu’il avait trouvé dans les détritus du marché, alla encore emprunter la marmite. Comme vous pensez, son voisin s’empressa de la lui remettre.
Une semaine s’écoula. Très inquiet de ne pas avoir revu son bien, l’homme frappa à la cabine de Yali et se nomma.
Au bout d’un instant, le soufi, en larmes, ouvrit sa porte.
— Pourquoi pleures-tu ? entendit-il.
Quel malheur est arrivé ?
- Ne m’en parle pas ! Un malheur épouvantable. Ta marmite est morte.
— Morte ! Une marmite ? Voleur, bandit, rends-la moi tout de suite !
Yali écarquilla les yeux.
- Comment ! fit-il. L’autre jour, tu n’as pas douté qu’elle avait eu un enfant et, ce matin, tu ne veux pas croire qu’elle est morte ?
Las de ses austérités. Yali s’était marié. Je crois, plutôt, qu’il avait pris, cette décision pour s’infliger de nouvelles épreuves, car sa femme était laide et méchante. Pour comble, elle était vorace. Elle engouffrait toujours la part de nourriture qui revenait à son mari. En désespoir de cause, le soufi allait errer au marché, où il réussissait, quelquefois, à se faire donner des fruits. Un matin, apitoyé par sa maigreur, un boucher lui donna trois livres de belle viande. Au lieu de garder son aubaine Yali la remit à sa femme.
- Puisque la chance me favorise aujourd’hui, dit-il, je repars, afin d’essayer d’attraper quelques légumes. Ne m’attends pas pour attaquer ce morceau de bœuf, mais garde-m’en la moitié.
Lorsqu’il revint, sa femme ronflait, répandue sur leur couche. Il la réveilla.
— Je vois que tu as bien mangé, déclara-t-il. A mon tour, maintenant ! Donne-moi ce que tu m’as réservé.
Elle gémit :
- Hélas ! je n’ai pas touché à cette viande, pour la bonne raison que le chat s’en est emparé et l’a engloutie.
Yali prit le chat qui dormait dans un coin. Il l’emporta vers une balance et le pesa gravement. Le fléau de la balance indiqua trois livres.
— Dis-moi, femme, s’écria le soufi. Si c’est le chat que je suis en train de peser, où est la viande ? Si c’est la viande, où est le chat ?
Saadi. (le Jardin des Roses ; traduction de Franz Toussaint).
Laisser un commentaire