La Céramique Mudéjare
26 02 2020
Héritières de la céramique hispano-musulmane, les œuvres de poterie et de céramique mudéjares se définissent par leur utilité et par leur valeur ornementale. Il est possible que ce soit le recours à des objets de métal noble si fréquent dans le monde perse et byzantin qui ait conduit la céramique hispano-musulmane à adopter rapidement l’utilisation du reflet métallique et des glaçures qui sont venus, sinon remplacer cette production, du moins en magnifier la beauté et la décoration.
Pendant le Moyen Âge, la céramique d’abord appelée de Malica, car on la pensait originaire de Malaga (Mallica ou Malica), inonda tous les marchés européens et spécialement les marchés italiens, décorant avec des plats (appelés ‘bacini’ en Italie) du Levante les tours romanes de nombreux édifices. Plus tard, avec l’arrivée des faïences italiennes Renaissance, la céramique espagnole perdit du terrain, et certains auteurs comme Felipe de Guevara (m. vers 1564) ne cachent pas le mépris qu’elle leur inspire.
La poterie mudéjare se signale par de nombreuses poteries estampées à fresque, dont la décoration inspirée de motifs musulmans fait aussi appel au répertoire épigraphique ou héraldique. Il s’agit généralement de pièces de grandes dimensions, travaillées sans tour et en plusieurs morceaux selon la technique des ‘’parois montées’’. Elle s’applique à de grandes cruches, à des fonts baptismaux et des margelles de puits ou de citernes. Des centres de production existèrent à Tolède, Cordoue, Séville et Grenade. Parfois les pièces étaient recouvertes de glaçures en vert et blanc, avec des applications d’autres couleurs comme le noir ou le même vert pour les pleins et les contours. Les fonts baptismaux et margelles mudéjares apparaissent au XIVe siècle, de même que les grandes cruches. Peu à peu, les motifs ornementaux se mettent à inclure des thèmes chrétiens et des lettres grecques.
Bien que l’on ne sache pas grand-chose des fonts baptismaux mudéjars, ils se circonscrivent à Tolède. On peut supposer l’existence d’un atelier dans les environs de la capitale, grâce à la teinte des poteries. L’intégration de thèmes chrétiens, comme les croix, même fleurdelisées ou patriarcales, les abréviations du nom de Jésus Christ (JHS) ou simplement les thèmes floraux du gothique cohabitent dans certains cas avec des thèmes aussi intéressants que spécifiques du monde musulman: main de Fatima et oeil destinés à conjurer le mauvais sort, et parfois le nom et la signature du potier: « Abrayn Gracìa, qui la mit en vente (pour 7 réaux) en 1508« . Cette signature sur les fonts de Camarenilla à Tolède nous permet de faire la connaissance de l’un des meilleurs potiers de l’époque, auteur également de la vasque baptismale conservée à la Hispanic Society à New York. D’autres centres de production de fonts baptismaux ont sans doute également existé à Saragosse et à Séville, où ont aussi été conservées quelques pièces remarquables, mais d’une autre typologie.
Plat de la période Modéjare (Seconde moitié du XVe siècle) provenant de Manises ou Paterna (Valence)
La céramique en vert et violet (cuivre et manganèse), qui jouissait d’un certain prestige en al-Andalus, va désormais connaître, avec la période mudéjare, une plus grande diffusion. C’est de la céramique califale du XIe siècle que dérive la céramique de Paterna, qui atteint son plus haut degré de développement entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle.
En 1383, Francisco Eximenis cite Paterna et Cárcer comme les deux centres de fabrication de « obra comuna de terra« , qualifiée de grossière face à la très riche céramique de Manisès.
La céramique de Paterna utilise des motifs figuratifs humains et animaliers qui recouvrent intégralement la pièce, dont le font est revêtu de l’oxyde stannifère qui rend ce ton de blanc et sur lequel sont appliqués les dessins en vert de cuivre et noir de manganèse.
La typologie des récipients va de la cuisine à la table: jarres, assiettes, bassines, écuelles, terrines…La céramique de Teruel s’en tient aux mêmes lignes et aux mêmes coloris; ses ateliers fonctionnèrent dans les mêmes années (fin XIVe début XVe), mais durent connaître un essor particulier dans le premier tiers du XVIe siècle, puisque l’historien Marineo Sìculo (1460 – 1533) y fait souvent allusion.
Les poteries de Manisès sont documentées depuis le milieu du XIVe siècle. Les thèmes décoratifs aux reflets métalliques apparaissent avant ceux à dominante verte de Paterna et avant les bleus de Manisès. La réputation de Manisès fut telle qu’elle hérita de l’appellation d’origine « opere de Malica, sive de Valencia« (œuvres de Malaga, ou plus précisément de Valence). L’utilisation d’une base d’oxyde stannifère favorisa une incorporation plus nette des couleurs, et permit aux céramistes d’abondonner l’ancienne technique de l’engobe.
Les céramiques à reflets métalliques en vinrent à intégrer une troisième cuisson à la poterie, qui subissait ainsi une première cuisson destinée à éliminer l’humidité et à sécher la pièce, une deuxième cuisson destinée à température élevée (ce que l’on appelait le « grand feu« ), dépassant les deux mille degrés, qui donnait les tons bleutés ou verts, et une troisième cuisson au cours de laquelle on appliquait l’oxyde métallique, à une température plus douce et dans un four réducteur, opération destinée à fixer les tons métalliques.
Cette technique de cuisson et de peinture de la céramique à reflets métalliques nous est connue grâce à la description que nous en a laissée pour Muel (Saragosse), au XVIe siècle, l’archer Enrique Cock qui accompagnait le roi Philippe II en voyage. La faïence dorée de Manisès et la faïence bleu et blanc se sont maintenues jusqu’au début du XVIIe siècle. On les voit souvent représentées sur les peintures historiques et religieuses de l’époque, ce qui constitue un anachronisme évident, mais qui témoigne bien du vrai prestige par cette céramique.
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