Les Mu’tazilah -1ère partie-
2 11 2019
LE NOM DE mu’tazilah
Après l’étude solide de C. A. Nallino sur « l’origine du nom de mu’tazilah », et le manque de documents nouveaux, il ne nous reste que de souscrire aux résultats auxquels il est parvenu, et dont voici l’essentiel :
1° Le nom de m’utazilah ne vient pas de l’idée de la séparation d’avec la doctrine des gens de Sunna (ahl al-sunna wa al-jamâ’ah). Par conséquent il n’a pas été forgé par ceux-ci pour dénigrer les partisans de l’i'tizâl, comme étant des « séparatistes » ou des « sécessionnistes ». Mais ce sont les premiers mu’tazilites eux-mêmes qui ont choisi ce nom, ou du moins l’ont accepté, dans le sens de « neutres » entre les sunnites et les khârigites dans la question politico-religieuse de : fâsiq (= celui qui commet un péché capital) : est-il un infidèle damné éternellement en enfer, comme disent les Khârigites, ou bien croyant ayant péché et qui sera châtié selon la gravité de son péché, ou bien enfin est-il dans un état intermédiaire comme le soutiennent les Mu’tazilites?
2° Cette question était l’une des plus graves questions, dans le premier tiers du ne siècle de l’hégire (vme siècle de l’ère chrétienne), par suite des luttes politiques et des guerres civiles qui avaient commencé par la lutte entre ‘Alî et Mu’âwyah pour le califat. Il est naturel que le nom de « mu’tazilah » vient du langage politique de cette époque. Les nouveaux mu’tazilites théologiens furent les continuateurs, dans le domaine de la spéculation théologique, des mu’tazilites politiques, qui ont adopté une attitude neutre dans le conflit entre les partisans d »Ali et ceux de Mu’âwyah, d’abord, et entre les partisans de la descendance de ‘Ali et les califes omayyades, ensuite ;
3° Il est vraisemblable que la première génération des théologiens mu’tazilites comprenait des personnes dont les opinions différaient autour d’autres questions religieuses, de sorte que dans le Ier siècle et au début du ne (VIIIe chrét.) quelques problèmes religieux (comme celui du libre arbitre) n’étaient pas bien définis, et il n’était pas possible de décider lesquelles des opinions contraires faut-il considérer comme exprimant l’attitude des Sunnites, ou l’attitude des autres sectes. Rien n’était encore bien précis ;
4° Le nom de « mu’tazilah » était là pour désigner le seul point caractéristique de leur doctrine qui les distingue de la doctrine sunnite. Ce point devint peu à peu moins important et perdit de son acuité, par suite de la cessation de guerres civiles ; d’autres points venaient prendre la première place (les attributs divins, la création du Coran, la raison et la révélation). En d’autres termes, cette dénomination était une dénomination partielle, comme les autres noms que les mu’tazilites ont pris après pour désigner quelques points définis de leur doctrine, comme : qadaryyah (de qadar = libre arbitre), ‘adlyyah (de ‘adl = justice), muwahhidah (de tawhîd = unicité) ;
5° L’origine propre du nom de « mu’tazilah » fut peu à peu oubliée à partir de la deuxième moitié du ne siècle. En suite de quoi beaucoup, même parmi les mu’tazilites ont cru que le nom vient de leur séparation d’avec les Sunnites, et que ce sont ceux-ci qui ont inventé ce nom pour dénigrer ces sécessionnistes. Peu d’auteurs ont conservé la raison de cette dénomination ;
6° Il n’est pas vrai que les « mu’tazilites» étaient à l’origine une branche ou une continuation des Qadarites du Ier siècle, et que leur point de départ fut la doctrine du libre arbitre.
LES CLASSES DE MU’TAZILAH
Ibn al-Murtadâ, dans son al-Munyah wa al-amal a divisé les mu’tazilites en classes historiques ou générations, dont le nombre s’élève à 12.
1re classe : il y introduit les quatre premiers califes : abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân, ‘Alî; y ajoute : ‘Abdallâh ibn ‘Abbâs, ‘Abdallâh ibn Mas’ûd, ‘Abdallâh ibn ‘Umar, Abû al-Dardâ’, Abû Dharr al-Ghifârî, ‘Ubâdah ibn al-Sâmit, etc. Il est clair que l’auteur les considère mu’tazilites pour appliquer la version mu’tazilite du hadîth : « ma communauté sera divisée en soixante-dix et quelques sectes, dont la plus pieuse est la mu’tazilah ».
2e classe : Al-Hasan, al-Husain fils d »Alî, Muhammad ibn al-Hanafyyah, fils d »Alî. Parmi les successeurs des Compagnons du Prophète : Sa’îd ibn al-Musayyab, Tâwûs al-Yamânî, Abû al-Aswad al-Du’alî, les compagnons d »Abdallâh ibn Mas’ûd : ‘Alqamah, al-Aswad, Shuraih, etc.
3e classe : les descendants de ‘Ali : al-Hasan fils d’al-Hasan, son fils ‘Abdullâh et les fils de celui-ci : al-Nafs al-zakyyah et d’autres ; Abû Hâshim ibn Muh. ibn al-Hanafyyah ; Muh. ibn ‘Alî ibn ‘Abdullâh ibn ‘Abbâs ; Zaid ibn ‘Ali. Parmi les successeurs des Compagnons du Prophète : Muh. ibn Sîrîn, al-Hasan al-Basrî.
4e classe : Ghailân ibn Muslim al-Dimashqî ; Wâsîl ibn ‘Atâ’ ; ‘Amr ibn ‘Ubaid ibn Bâb ; Makhûl ibn ‘Abdullâh ; Qatâdah ibn Di’âmah alSadûsî ; Sâlih al-Dimashqî, compagnon de Ghailân ; Bashîr al-Rahhâl. Avec cette 4e classe commencent les mu’tazilites proprement dits. Les trois premières classes n’ont rien à faire avec la doctrine mu’tazilite ; et on voit très bien, par les noms que l’auteur mentionne, que celui-ci est un Shi’îte zaidite ; aussi exalte-t-il les premiers descendants d »Alî.
Aussi faut-il ne tenir aucun compte des trois premières classes.
5e classe : ‘Uthmân ibn Khâlid al-Tawîl, maître d’Abû al-Hudhail ; Hafs ibn Sâlim ; al-Qâsim ibn al-Sa’dî ; ‘Amr ibn Hawshab ; Qais ibn ‘Asim ; ‘Abd al-Rahmân ibn Murrah et son fils al-Rabî’ ; al-Hasan ibn Dhakwân. Les compagnons de ‘Amr ibn ‘Ubaid : Khâlid b. Safwân, Hafs b. al-’Awwâm, Sâlih b. ‘Amr, al-Hasan b. Hafs b. Sâlim, Bakr b. ‘Abd al-A’lâ, Ibn al-Sammâk, ‘Abd al-Wârith b. Sa’îd, Abû Ghassân, Bishr b. Khâlid, ‘Uthmân b. al-Hakam, Sufyân b. Habib, Talhah b. Zaid, Ibrâhîm b. Yahyâ al-Madanî.
6e classe : Abû al-Hudhail Muh. b. al-Hudhail al-’Abdî, Abû Ishâq Ibrâhîm b. Sayyâr al-Nazzâm ; Abû Sahl Bishr b. al-Mu’tamir al-Hilâli ; Mu’ammar b. ‘Abbâd al-Sulami, Abû Bakr ‘Abd al-Rahmân b. Kaisân al-Asamm ; Abû Shammar al-Hanafî ; Ismâ’îl b. Ibrâhîm Abî ‘Uthmân al-Adamî ; Abû Mas’ûd ‘Abd al-Rahmân al-’Askarî ; Abû Khaladah ; Abû ‘Amir al-Ansâri ; ‘Amr b. Fâid ; Musâ al-Uswârî ; Hishâm b. ‘Amr al-Fuwatî.
Cette sixième classe est la plus importante et dépasse de beaucoup toutes les autres : en richesse d’idées, vigueur de pensée, courage dans le traitement des problèmes. Elle représente l’apogée de la doctrine mu’tazilite.
7e classe : Abû ‘Abdullâh Ahmad b. Abî Du’âd ; Thumâmah b. AlAshras ; ‘Amr b. Bahr al-Jâhiz ; ‘Isa b. Subaih (= Abû Mûsa b. al-Murdâr, surnommé le moine des mu’tazilites) ; Muwais b. ‘Umrân al-Faqîh ; Muh b. Shabîb ; Muh b. Ismâ’îl al-’Askarî ; Abû Ya’qûb Yûsuf b. ‘Abdullâh b. Ishâq al-Shahhâm ; ‘Alî al-Uswârî ; Abû al-Husain Muh. ibn Muslim al-Sâlihi ; Sâlih Qubbah ; Ja’far b. Harb ; Ja’far b. Mubashshir al-Thaqafî ; Abû ‘Umrân Mûsâ b. Al-Riqâshî ; ‘Abbâd b. Sulaymân ; Abû Ja’far Muh. b. ‘Abdullâh al-Iskâfî ; Abû ‘Abdullâh al-Dabbâgh ; Yahya b. Bishr al-Arrajânî ; Abû ‘Affân al-Nizâmî, disciple d’al-Nazzâm ; Zurqân ; ‘Isa b. Al-Haitham al-Sûfi ; Abû Sa’îd Ahmad b. Sa’îd al-Asadî.
8e classe : Abû ‘Alî Muh. b. ‘Abd al-Wahhâb al-Jubbâ’î ; Abû Mujâlid Ahmad b. al-Husain al-Baghdâdî ; Abû al-Husain al-Khayyât ‘Abd al-Rahîm b. Muh. b. ‘Uthmân, auteur du livre fameux intitulé : al-Intisâr (contre Ibn al-Râwandî) ; Abû al-Qâsim ‘Abdullâh b. Ahmad b. Mahmûd al-Balkhî al-Ka’bî ; Abû Bakr Muh. b. Ibrâhîm al-Zubairi ; Abû al-Hasan Ahmad b. ‘Umar b. ‘Abd al-Rahman al-Bardia’î ; Abû Nasr b. Abl al-Walîd b. Ahmad b. Abî Du’âd al-qâdî ; Abû Muslim Muh. b. Bahr al-Asbihânî ; Ibn al-Râwandî ; al-Nâshi’ ‘Abdullâh b. Muh, surnommé Abû al-’ Abbâs, le poète ; Abû al-Hasan Ahmad b. ‘Alî al-Shatawî ; Abû Zufar Muh. b. ‘Alî al-Makkî ; Muh. b. Sa’îd Zanjah.
9e classe : Abû Hâshim ‘Abd al-Salâm b. Muh. b. ‘Abd al-Wahhâb al-Jubbâ’i ; Muh. b. ‘Umar al-Saymari ; Abû ‘Umar Sa’îd b. Muh. alBâhili ; Abû al-Hasan b. al-Kh’abbâb ; Abû Muh ‘Abdullâh b. ‘Àbbâs al-Râmhurmuzl ; Abû al-Hasan al-Isflndyânî ; Abû Bakr Ahmad b. ‘Alî al-Ikhshid ; Abû al-Hasan Ahmad b. Yahyâ b. ‘Alî al-Munajjim ; Abû al-Hasan b. Farzawaih ; Abû Bakr ibn Harb al-Tustarî ; Abû Sa’îd alAshrûsanî; Abû al-Fadl al-Kashshi ; Abû al-Fadl al-Khujundî ; Abû Hafs al-Qarmîsînî ; Abû ‘Alî al-Balkhî ; Abû al-Qâsim al-’Amiri ; Abû Bakr al-Fârisi ; Abû Bakr Muh b. Ibrâhîm al-Maqâni’î al-Râzî ; Abû Muh. b. H.-i milan ; Abû ‘Uthmân al-’Assâl ; Abû Muslim al-Naqqâsh, al-Hasan b. Musâ al-Nawbakhti, shî’îte.
10e classe : Abû ‘Alî Ibn Khallâd ; Abû ‘Abdullâh al-Husain b. ‘Alî al-Basri ; Abû Ishâq Ibn ‘Ayyâsh ; Abû al-Qâsim al-Sîrâfî ; Abû ‘Umrân al-Sîrâfl ; Abû Bakr b. al-Ikhshîd (déjà mentionné dans la 9e classe) ; Abû al-Husain al-Azraq ; Abû al-Husain al-Tawâ’ifî al-Baghdâdî, Ahmad b. Abî Hâshim, fils d’Abû Hâshim ibn Abû ‘Alî al-Jubbâ’î ; la sœur d’Abû Hâshim al-Jubbâ’î, fille d’Abû ‘Alî ; Abû al-Husain ibn al-Nujaih, de Baghdâd ; Abû Bakr al-Bukhâri ; Abû Muh. al-’Abdakî ; Abû Hafs al-Misrî ; Abû ‘Abdullâh al-Habashi ; Abû al-Hasan ‘Alî b. ‘Isa ; AlKhâlidî, de Bassorah ; Muh. b. Zaid al-Wâsitî ; Abû al-Husain b. ‘Alî, de Nîsâpûr ; Abû al-Qâsim b. Sahlawaih.
Ce sont les dix classes mentionnées et divisées par al-Qâdî ‘Abd al Jabbâr. Al-Hâkim est venu après lui, et a ajouté deux autres classes :
11e classe : Qâdî al-Qudâh (= juge des juges) Abû al-Hasan ‘Abd al-Jabbâr b. Ahniad b. ‘Abd al-Jabbâr al-Hamdâni; Abû ‘Abdullâh al-dâ’î (Le propagandiste, le missionnaire) Muh. b. al-Hasan b. al-Qâsim b. al-Hasan b. ‘Abd al-Rahmân b. al-Qâsim b. al-Hasan b. Zaid b. alHasan b. ‘Alî b. Abî Tâlib ; Abû al-’ Abbâs al-Hasanî ; l’imâm al-Mu’ayyad bi Allâh ; son frère, l’imâm Abû Talib ; Yahyâ b. Muh. al-’Alawî ; Abû Ahmad b. Abî ‘Illân ; Abû Ishâq al-Nusaybînî ; Abû Ya’qûb al-Basri al-Bustâni ; al-ahdab (= le bossu) Abû al-Hasan ; Abû ‘Abdallâh Muh. b. Muh. b. Hunaif ; Abû al-Husain b. Hânî ; Abû al-Hasan al-qâdi ‘Alî b. ‘Abd al-’Azîz al-Jurjâni ; al-Sâhib al-Kâfî (= ibn ‘Abbâd, le grand vizir) ; Abû Nasr Ismâ’îl b. Hammâd al-Jawharî, le grand philologue, auteur du dictionnaire intitulé : al-Sihâh.
12e classe : Abû Rashîd Sa’îd b. Muh. al-Naisâbârî auteur de : Diwân al-Usûl; Abû Muh. ‘Abdullâh b. Sa’îd al-Labbâd ; al-Shârif al-Murtadâ Abû al-Qâsim ‘Ali b. al-Husain al-Mûsawî ; l’imâm al-Hasan al-Haqqînî ; al-Nâsir et le dâ’î, qui séjournent à Amul ; Abû Ja’far al-Nâsir al-saghîr ; Abû al-Qâsim al-Bustî Ismâ’îl b. Ahmad ; Abû al-Fadl al-’Abbâs b. Shirwîn ; Abû al-Qâsim al-Mîzûkî Ahmad b. ‘Alî ; Abû Muh. al-Khârizmî ; Abû al-Fath al-Asfihânî ; Abû al-Hasan al-RalTâ’ ; al-qâdi (= le juge) Abû Bishr al-Jurjânî ; Zaid ibn Sâlin ; Abû Hâmid Ahmad b. Muh. b. Ishâq al-Najjâr ; Abû Bakr al-Râzî ; Abû Hâtim al-Râzî ; Abû Bakr al-Dînawarî ; Abû al-Fath al-Saffâr ; Abû al-Fath al-Dasmâwandi ; Abû al-Hasan al-Kirmânî ; Abû al-Fadl al-Jlûdî ; Abû al-Qâsim b. Mîkâ ; Abû ‘Asim al-Marrûzî ; Abû Nasr, de Marw (Merv) ; Abû al-Hasan alKhattâb ; Abû Tâlib b. Abî Shujâ’, de Âmul ; Abû al-Husain al-Basri, Muh. b. ‘Ali, auteur d’al-Mu’lamad sur les principes de la jurisprudence ; Mahmûd b. al-Malâhimî ; Abû Tâhir ‘Abd al-Hamîd b. Muh, de Bukhârâ ; Abû Muh. al-Hasan b. Ahmad b. Mattûyah, disciple d’al-qâdi ‘Abd alJabbâr ; Abû ‘Amr al-Qâshânî ; ‘Ali al-Tâlaqânî ; Abû Muh. al-Za’frânî.
Ces classes sont faites d’après l’ordre historique (chronologique); il arrive souvent que les relations entre les membres d’une même classe sont des relations des maîtres aux disciples. Mais on peut diviser les mu’tazilites en deux grandes écoles : l’école de Bassorah, et l’école de Baghdâd. Elles représentent les deux grands courants de la doctrine mu’tazilite. Il y a des différences doctrinaires entre ces deux écoles. Voici deux tableaux où figurent les grands représentants de chacune d’elles :
…..à suivre
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