Le Royaume D’Alger sous Le Dernier Dey – 2ème partie -
10 05 2019
Chapitre Premier
II — Dar-es-Soltane ou domaine de la couronne
Le Dar-es-Soltane, ou domaine de la couronne, relevait directement du dey d’Alger; il comprenait, géographiquement, les cinq villes d’Alger, Blida, Koléa, Cherchel et Dellys et El-Outane, les pays (districts ou cantons), sous les ordres de caïds turcs relevant de l’agha des Arabes, chef de l’armée du dey.
En dehors de ce territoire et dans les régions relevant du gouvernement direct des trois bey turcs de Titri, d’Oran et de Constantine, il y avait un certain nombre de tribus ou de groupes placés soit sous l’autorité de ce même agha, soit sous celle du khodjet el khil (secrétaire des chevaux), fonctionnaire qui avait les attributions de ministre des finances, de grand-maître des haras et de directeur général des domaines. C’étaient : ou des groupes guerriers, ou des territoires affermés au profit du dey, ou encore des alliés ou vassaux qui, pour échapper plus sûrement à l’ingérence du bey de leur pays, avaient obtenu de relever directement d’Alger.
Ces territoires d’exception seront mentionnés dans la nomenclature des territoires du beylik dans lesquels ils étaient enclavés.
Les Outanes n’étaient pas tous soumis à un régime uniforme : ceux de la banlieue immédiate d’Alger n’étaient plus constitués en tribus ou ethniques et ne comprenaient que des groupes administratifs divisés en un certain nombre de cantons ou quartiers, placés chacun sous la surveillance d’un mechikh, oukil ou gérant du caïd. Chaque canton se composait d’un certain nombre de haouch (propriétés rurales), tantôt maison de plaisance, tantôt ferme, tantôt hameaux de pauvres gens. Beaucoup de ces haouch étaient, aux mains des fonctionnaires de la cour ou des familles de janissaires ; plusieurs étaient entre les mains de petits marabouts peu fortunés et sans grande influence, mais qui se faisaient des revenus appréciables par leur intervention incessante auprès des fonctionnaires turcs.
La Jenina, ancien palais des Deys (Alger)
III. – Beylik-el-Titri
Le beylik du Titri, dont la capitale était Médéa, était le moindre des quatre gouvernements du royaume d’Alger; son bey, malgré son titre, sa garde d’honneur, sa musique et ses sept étendards, avait moins d’autorité que l’agha des Arabes d’Alger ou que la plupart des grands vassaux alliés de la couronne. Il n’était même pas le maître dans la ville de Médéa, à laquelle la politique ombrageuse du dey imposait un hakem ou gouverneur particulier, relevant directement du diouane ou grand conseil d’Alger.
Un certain nombre de tribus de ce beylik échappaient encore à l’autorité du bey, les unes relevant comme azel ou apanages du Khodjet-el-Khil, les autres, étant des fiefs de djouad ou de marabouts relevant directement du dey ou de l’agha. En outre, ce beylik était, en fait, à la discrétion absolue du chikh El-Mokhtar, à la fois djouad et marabout, dont la famille tenait dans sa main tout le sud du beylik. Cette famille, heureusement pour les Turcs, était toujours divisée en deux partis rivaux à peu près d’égale force (le soff Gherbi et le soff Chergui), dont chacun groupait autour de lui les tribus inféodées à la famille. Le chikh El-Mokhtar qui avait l’investiture des Turcs servait d’intermédiaire au bey, qui ne pouvait rien sans lui, et il était le vrai chef du Titri. Quand il devenait gênant, on le destituait et on offrait le caftan d’investiture à son rival volontairement exilé dans le Sahara hors de portée des colonnes turques. Ce modus Vivendi était passé dans les habitudes du pays.
Il y avait cependant dans le Titri une certaine force militaire aux mains du bey. Outre ses 50 spahis-janissaires et les 15 mekahalia ou fusiliers, formant sa garde particulière, il avait sous la main, à Médéa, une nouba de 5 sefara ou 120 janissaires, une réserve de 200 zbantout ou kesourdja en disponibilité à Berrouaghia, puis la petite garnison de Sour-Ghozlane (soit: 2 sefari ou 30 hommes en service et le double en disponibilité). Ainsi, et en comptant tout, sauf les enfants de troupe, il y avait dans ce beylik, 250 turcs et 636 couloughli en état de porter les armes, et de bons makhezènes indigènes.
Dar el Bey du Beylik du Titteri Mustapha Boumezrag entre 1819 et 1829
Le beylik était divisé en quatre caïdats ou circonscriptions :
1° LE CAIDAT DU TELL DAHRAOUIA, comprenant les sept outanes ou tribus de HOCINE-BEN-ALI, OUZERA, HAOUARA, OUAMERI, RIGHA, HANENCHA, BENI-BOU-YACOUB, GHERIB ;
2° LE CAIDAT DU TELL GUEBLIA, comprenant les tribus de OULED-DEID, DOUAIR-EL-ABID, OULED-HEDIM, BENI-HANENE, OULED-AHMED-BEN-YOUCEF, REBAÏA, OULED-ALTANE, TlTRI-SOUARl, OULED-MAREUF., DEÏMATE, MEFATA, OULED-HAMZA.
3° LE CAIDAT DU DIRA ou de SOUR-GHOZLANE, comprenant toutes les tribus soumises de cette région.
4° LE CAIDAT DU SUD, comprenant les nomades et les clients directs des OULED-MOKHTAR.
IV — Beylik Ouharane
Dans la partie occidentale des côtes barbaresques, les populations sont plus rudes que dans l’Est. Celles du Maroc sont en outre sans cesse excitées par des cherfa fanatiques et ambitieux qui, depuis le souverain jusqu’au plus humble cherif, rêvent et poursuivent la suprématie politique et religieuse des descendants de la fille du Prophète. De là, pour le beylik de l’ouest, la nécessité absolue,d’être toujours sur le pied de guerre, prêt à repousser les agressions d’un ennemi qui ne désarme jamais. Cette nécessité, du reste, avait existé pour les Turcs pendant plus de deux siècles, en raison de l’occupation d’Oran par les Espagnols et des secours que rencontraient parfois, contre les bey de Mazouna ou de Mascara (1), les tribus mécontentes des Turcs ou alliées des Chrétiens. Il en était résulté que dans le beylik d’Oran, tout étant subordonné aux intérêts de la défense, l’organisation y était plus militaire que partout ailleurs ; le principe d’autorité s’y affirmait et était respecté bien autrement que dans les trois autres gouvernements. Il y avait peu de cultures, peu d’installations stables, hors des villes et des montagnes; le parcours, l’élevage et l’habitation sous la tente étaient la règle générale, et le beylik lui-même, n’avait pas cru possible d’accaparer à son profit les meilleures terres comme cela avait été fait dans le centre et dans l’est du royaume. Aussi, jusqu’à hauteur de Mazouna ou d’Es-senam (Orléansville), les maghezènes avaient été, s’ils ne l’étaient déjà, constituées en tribus maîtresses des terres qu’elles occupaient à titre collectif ou melk.
Das la région tellienne, un seul grand fief héréditaire s’était maintenu entouré de la considération générale : c’était celui des Ouled-Sidi-Bou-Abdallah-el-Maghaouled, de Tagria, près le confluent de la Mina et du Chélif. Ses maîtres, à la fois marabouts et nobles d’épée, avaient eu, de bonne heure, intérêt à faire alliance avec les Turcs contre les Cherfa, contre les Khouanes et contre les chrétiens d’Oran. Il en était résulté, avec le temps, la transformation de ce fief en une sorte de commanderie militaire, plus guerrière que religieuse, et cependant ayant conservé la vénération et les offrandes de nombreuses tribus. Ses chefs marchaient toujours avec le makhezène et fournissaient volontiers des fonctionnaires ou des cadhi à la cour du bey.
Cette même crainte de l’ennemi marocain et des Cherfa avait l’approché des Turcs quelques petits marabouts locaux, les Kbaïls de la frontière et les grands seigneurs du Djebel-Amour et des Harar. Dans l’extrême sud, le beylik était couvert par les marabouts guerriers des Ouled-Sidi-Cheikh, indépendants dans leurs vastes états, toujours déchirés par des guerres intestines qui faisaient, tour à tour, rechercher aux uns ou aux autres l’alliance turque ou l’alliance marocaine.
Tel était le caractère général du beylik d’Oran. Quant à son organisation, elle était plus simple et plus forte que celle des autres gouvernements du royaume.
A l’exception de deux groupes de tribus (Ouled-Ameur et Medjahar), dont le bey d’Oran se réservait, en principe, l’administration directe, le beylik de l’ouest était partagé entre trois chefs ou grands dignitaires qui percevaient les revenus et nommaient les caïds. C’étaient : l’agha des Douair, l’agha des Zméla et le khalifat du bey ; ce dernier dénommé souvent khalifat Ech-Cheurg, parce que son gouvernement s’étendait presqu’exclusivement sur les populations à l’est de Mazouna.
Il y avait, en réalité, quatre agha, mais deux étaient toujours en congé et deux seulement exerçaient l’autorité. Ils opéraient souvent de concert, car, contrairement à ce qui avait lieu pour le khalifat qui avait une région déterminée, chacun des deux agha avait ses tribus enchevêtrées avec celles de son collègue, si bien que l’exercice de leurs fonctions les amenait simultanément dans les mêmes régions. De cette façon, si l’un des deux agha avait voulu se révolter, il eût été tenu en échec par son collègue sur tous les points. Cet enchevêtrement intentionnel était d’autant.plus grand qu’on se rapprochait davantage delà capitale du beylik. Aussi, dès les premiers jours de l’occupation de la banlieue d’Oran, dans tous les documents français visant les questions territoriales on a été obligé d’employer l’expression composée : « Les Donair et Zméla ». On agira de même ici, et on ne cherchera ni à débrouiller, ni à séparer dans la nomenclature les groupes relevant de l’un ou l’autre agha ; tout au plus distinguera-t-on, en suivant l’ordre géographique, le groupe oriental relevant du khalifat du bey.
V— Beylik Qsantina
Dans le beylik de Constantine, l’autorité des Turcs fut toujours tenue en échec par la puissance des grands seigneurs arabes ou berbères qui se partageaient le pays. N’étant pas assez forts pour les atteindre ni dans le Sahara ni dans les montagnes où ils avaient des
refuges assurés et de nombreux contingents guerriers, les Turcs eurent recours à des moyens politiques, si toutefois ce nom peut être donné à l’intrigue et à la corruption érigées en système de gouvernement.
Parmi ces moyens, celui qu’ils employèrent le plus fut le refoulement et la dépossession territoriale de tous ceux qu’ils réussirent à battre dans les plaines des environs de Constantine, puis, ensuite, la remise de ces terres en apanage ou en fermage à ceux qui leur prêtaient leur concours. Il en était résulté autour de la ville de Constantine la constitution de vastes domaines du beylik dont la jouissance était tour à tour donnée ou promise à ceux dont on avait besoin. Beaucoup de ces terres servaient de traitement aux officiers de la cour du bey et aux chefs de son makhezène, d’autres étaient louées à des gens de la ville. Ces azel étaient cultivés par des gens de toutes les tribus amenés par les apanagistes, et qui, établis là depuis plusieurs générations, avaient à peu près perdu toute attache avec leur fraction d’origine. C’étaient des sortes de serfs attachés au sol et changeant de maîtres selon les caprices des Turcs.
Quant à l’organisation politique, elle était très simple en ce sens que le bey n’avait aucun intermédiaire attitré entre lui et les caïds chefs des tribus soumises ou les cheikh héréditaires alliés ou vassaux, avec lesquels on était toujours en pourparlers. Le khalifat du bey était un personnage insignifiant, le plus souvent un parent ou un familier du bey, et son rôle se bornait à porter l’impôt à Alger.
(1) Les premiers bey turcs de l’Ouest ont eu leur résidence à Mazouna, de 1515 à 1700 ; puis cette résidence a été à Mascara, de 1700 à 1792, année ou le bey s’est transporté à Oran, complètement évacué en mars 1792, à la suite du traité du 12 septembre 1791, ratifié à Madrid le 16 décembre.
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