Les survivances pré-islamiques chez les musulmans dans l’univers soviétique (ex l’U.R.S.S)

26 04 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les croyances hétérodoxes qui subsistent chez les musulmans de Russie furent longtemps considérées comme des phénomènes isolés, liés à l’analphabétisme et au retard économique des masses populaires, et comme tels destinés à disparaître « naturellement ». Les savants soviétiques réunis à Stalinabad en 1956 ont apporté quelques corrections à cette théorie en affirmant qu’il était plus difficile de détruire ces superstitions précisément parce qu’elles étaient enracinées dans les mœurs familiales — le plus solide rempart des traditions — quelquefois aussi dans les mœurs professionnelles.

 

 

 

 

 

Le rituel des cérémonies familiales.

Les événements qui rythment la vie de l’individu et de la famille — naissance, mariage, mort — sont l’occasion de cérémonies où traditionnellement aux rites religieux de l’Islam orthodoxe s’ajoutent des coutumes multiples liées en général au passé pré-islamique. Qu’en reste-t-il actuellement ?

 

 

 

 

 

 

La naissance de l’enfant a toujours été marquée d’un rituel fort compliqué. Les coutumes, liées chez les musulmans à la naissance, ont perdu de leur force dans la mesure où le recours aux établissements hospitaliers s’est répandu. Néanmoins on voit encore, surtout chez les paysans du Caucase, divers usages dits « religieux » qui n’ont pourtant rien à voir avec l’Islam. Ainsi les Abkhazes maintiennent le rite Akuabknahara qui consiste à placer sous le lit de la parturiente un chaudron contenant une pierre et dans le berceau une paire de ciseaux attachés avec une ficelle. Ceci dit-on doit hâter la naissance. Dans le même temps le mari quitte la maison où il est remplacé par sa belle- mère et s’installe pour plusieurs jours chez des parents. Cette dernière coutume se rattache à l’époque de transition du matriarcat au patriarcat.

 

 

 

La « cérémonie du nom », encore pratiquée dans les campagnes, se rattache elle aussi à cette période. L’enfant reçoit un nom dans les jours qui suivent sa naissance; ce nom lui est donné par un ancien de la famille, ou un voisin connaissant l’arabe, après la lecture de l’azzan. En règle générale il s’agit de prénoms proprement islamiques, mais on constate une disparition rapide des noms composés avec Abd (esclave) ; tels Abd-Allah : esclave de Dieu ; Abdur-Rahim : esclave du Miséricordieux, pour les garçons et Bibi (maîtresse) ou Nisa (dame) pour les filles. A leur place on trouve parfois des prénoms géorgiens ou russes (au Caucase) ou encore proprement soviétiques tels Kahramon (héros), Askar (guerrier), Dauron (époque).

 

 

 

Plus tard, l’enfant de sexe mâle est circoncis et cette cérémonie à caractère purement religieux, encore pratiquée dans les régions musulmanes de Russie, s’entoure aussi d’un rituel. Cette pratique que les indigènes justifient par des motifs « hygiéniques » n’implique pas officiellement de transfert d’allégeance de l’État vers la religion, elle n’est donc pas interdite. La littérature antireligieuse limite le caractère « réactionnaire » de ce rite aux dépenses inutiles et au danger que court l’enfant.

La circoncision est pratiquée par des mollahs, plus rarement par des laïcs, tels les barbiers indigènes : ušta sartaraš. Elle est entourée de tout un cérémonial pratiqué ouvertement et auquel participent quelquefois les voisins et amis, parfois même les dignitaires locaux des soviets et du parti. C’est le toï qui dure trois jours et qui est accompagné de prières et festins rituels. Les autorités ne manquent pas de faire remarquer que l’orthodoxie islamique ne requiert nullement ce cérémonial.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les survivances pré-islamiques chez les musulmans dans l'univers soviétique (ex  l'U.R.S.S) dans Coutumes & Traditions 1549880565-sans-titre

Une mariée dans sa chambre a organisé une fête de mariage selon les coutumes tadjik

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mariage reste souvent assez semblable à ce qu’il fut à l’aube du régime soviétique et maintient un grand nombre de rites magiques destinés à attirer sur le couple la bénédiction de Dieu, mais aussi des esprits les plus divers. Le mariage religieux en Asie Centrale comprend deux cérémonies, les fiançailles (Toï Fatiha) qui ont lieu chez la fiancée en présence du mollah ou d’un personnage connaissant l’arabe, et le mariage proprement dit ( Toï Nikah) , également célébré chez la fiancée un mois plus tard, qui comprend la signature du contrat et la bénédiction nuptiale (Khotbé-Nikah) par le mollah. Entre les deux se situe le mariage civil.

 

 

 

 

Chez les Uzbeks le Nikah a lieu généralement quelques jours après la fête (toï) dans le secret le plus absolu en présence seulement de quelques proches. Snesarev nous en donne la raison :

« On pourrait croire que les précautions prises sont destinées à garder secret le cérémonial religieux et la présence du mollah, ce qui pourrait dans les circonstances actuelles compromettre les fiancés et leurs parents aux yeux de la société soviétique… En réalité les précautions sont étrangères à de telles préoccupations; elles sont dues exclusivement à la crainte des actes magiques maléfiques de personnes qui pourraient pénétrer dans la maison pendant la cérémonie du Nikah. »

 

 

Ce rituel encore observé semble-t-il dans toute l’Asie Centrale (nous en avons des témoignages analogues pour les Tadjiks, les Turkmènes, les Dungans, est encore plus compliqué au Caucase où certains peuples « l’étalaient » avant la Révolution sur une période allant de un à trois ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rituel funéraire. C’est autour de la mort que l’on retrouve le plus de traces des croyances et des traditions religieuses antérieures à l’Islam. Le rituel funèbre des Abkhazes nous en fournit un exemple fort remarquable. La cérémonie s’organise autour de trois acteurs : le défunt ; son vêtement, anšjan, reconstitué, dans l’ordre exact où il le portait, sur un lit voisin ; le cheval du défunt. Les funérailles, qui ont lieu trois ou quatre jours après la mort dans la cour de la maison, réunissent dans des lamentations successives ces trois sujets et le cheval de la veuve placé au côté du cheval de l’époux disparu. Le chiffre trois joue un rôle important dans cette cérémonie qui a trois héros, est marquée par une triple procession dans la cour, une triple élévation du cercueil avant son départ pour le cimetière. Lorsque le cercueil est déposé dans la tombe, les Abkhazes s’empressent de le recouvrir de terre tant ils craignent que l’âme du défunt ne s’échappe pour venir les tourmenter. Pour assurer la paix de cette âme et la leur, ils multiplient offrandes, sacrifices et festins commémoratifs.

 

 

 

Un cérémonial analogue existait chez nombre d’autres peuples musulmans du Caucase. Chez les Adyghés on faisait un véritable massacre de chevaux pendant l’enterrement. Plus tard on s’est contenté de leur couper une oreille lors du premier anniversaire, de tirer des coups de fusil et de revolver sur la tombe. Actuellement la tradition s’est dégradée et l’on consacre le cheval au défunt d’une façon toute symbolique en le promenant trois fois autour de la cour durant les funérailles. Enfin les Adyghés enterraient jadis leurs morts dans les arbres, mais l’on ne sait d’une façon certaine si la coutume s’est perpétuée. Certains auteurs y voient une influence mazdéenne.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Gravure d’une fête funéraire dans le Haut-Karabagh (Caucase 1869)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rituel funéraire abkhaze est particulièrement remarquable en cela qu’il est à l’image du « complexe religieux » qu’est l’Islam russe. Il reflète une quantité innombrable de croyances venues de toutes les époques, notamment des réminiscences du culte des ancêtres qui a connu son plein épanouissement au stade patriarcal. A cette époque on sacrifiait au chef de clan ou au chef de guerre défunt des chevaux, des armes, parfois même sa ou ses épouses. Du cas limite du meurtre rituel de la femme, on voit la survivance dans l’enterrement abkhaze, par la présence auprès du cheval du défunt, du cheval de la veuve. Certains actes de ce rituel s’expliquent par leur signification magique et se rattachent aux temps les plus reculés, tels la triple procession derrière le cheval, les trois élévations et abaissements du cercueil, le coup de balai donné à la maison après le départ du corps… D’autres éléments — l’usage des cierges, la nourriture maigre — révèlent l’in-fluence du christianisme. Certes le rituel funéraire est un cas extrême, c’est vraisemblablement là que les traditions du passé se conservent le plus opiniâtrement. Néanmoins il est intéressant de constater que quelles que soient les modifications subies (essentiellement dans la voie de l’humanisation) les rites subsistent, même si la forme en est dégradée et symbolique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Survie des organisations corporatives traditionnelles.

 

 

 

Décrivant la situation des musulmans dans la Russie tsariste, L.N. Klimovič insistait sur l’intervention permanente de la foi islamique dans tout métier et sur le mélange inextricable de religions et de divinités que recouvrait à cette occasion l’Islam. L’étude de Klimovič se rapporte au passé pré-révolutionnaire, cependant divers auteurs soviétiques témoignent que ce passé n’est pas complètement révolu et Snesarev a affirmé au Congrès de Stalinabad au sujet de certaines corporations traditionnelles du Horezm : « On pourrait croire qu’il s’agit de phénomènes appartenant au lointain passé, disparus en même temps que l’organisation des anciennes corporations artisanales. Mais la réalité prouve le contraire. »

 

 

 

Selon Snesarev en Asie Centrale les professions « artisanales » conservent souvent quelque chose des anciens rites initiatiques. Le rituel d’admission au grade de maître (Ušta) est encore observé, il requiert la présence d’un mollah, ce qui lui donne un caractère religieux. Les corporations conservent pieusement le culte de leur saint protecteur (pir) ; toutes les semaines, dans la nuit du jeudi au vendredi, des prières collectives réunissent les membres de la corporation et parfois les maîtres s’assemblent pour lire leur statut religieux (risala). La risala, rédigée en arabe, se transmet généralement par voie orale. Parfois, les relations entre apprentis et maîtres sont régies, non par la loi soviétique, mais par les antiques statuts des corporations et les apprentis sont dans la dépendance économique du maître comme par le passé. Enquêtant dans le district de Khiva et de Khanké dans le Horezm et aussi dans la région de Tašauz,

 

 

Snesarev a trouvé des survivances du rituel religieux de la corporation des forgerons qui lui ont semblé d’autant plus curieuses qu’elles s’épanouissent « dans un kol-hoze d’avant-garde ». Son informateur était un jeune forgeron, ancien sous-officier de l’armée rouge qui travaillait comme élève (šagird) auprès d’un maître (Ušta) à qui il abandonnait une part de son salaire. Il connaissait parfaitement la risala et le pir de sa corporation et se préparait à son initiation religieuse qui en ferait un maître.

 

 

 

 

Au Tadjikistan les forgerons — qui à l’occasion servent de barbiers, voire de dentistes — sont considérés comme étant au service de la collectivité tout entière qui assume leur entretien. Lorsqu’ils travaillent dans leur propre village, la collectivité cultive leurs terres. Lorsqu’ils sont installés dans un village étranger ils reçoivent une part de la terre communale ou encore un véritable impôt en produits de ferme connu sous le nom de Haqqi-Ušta (« don du maître »). L’apprentissage qui dure trois à quatre ans n’est pas payé, il se termine par l’initiation qui est fondée sur un rituel rigoureux et entourée de festivités. L’apprenti qui ne peut assumer ces festivités, donc les frais d’une installation ultérieure, devient Halfa chez son maître, c’est-à-dire ouvrier salarié mais non initié.

 

 

 

Autrefois, seuls les maîtres par voie héréditaire pouvaient servir de truchement entre les étrangers et le pir ou les esprits de la corporation. Dans le Ferghana, les potiers pratiquent encore le rite du Kamabardon, où le disciple initié est ceint d’un tablier de cuir. Ce rite change parfois de signification et marque alors l’entrée de l’homme, non plus dans une corporation, mais dans l’âge mûr. C’est un rituel auquel sont soumis les hommes vers leur quarantième année qui sont ainsi censés rompre avec leur jeunesse. De toutes façons le Kamabardon marque l’accession à la dignité des anciens et l’artisan initié ainsi jouit d’une immense prestige. Faut-il le rattacher au soufisme ? ou à des coutumes plus anciennes ? L’existence de corporations de potiers à Samarkand et Pangikent où se pratique l’initiation, le culte des pirs, des maîtres décédés, enfin des festins rituels est un phénomène moins curieux certes que l’histoire et l’organisation d’une corporation féminine du même métier, celle qui existe à Sari Suhon dans le Karategin. Les maîtresses de la corporation qui accèdent à cette dignité par l’hérédité ou désignées par leurs devancières se réunissent pour réciter leurs prières rituelles et organisent des festins.

 

 

 

Mais les traditions corporatives ne sont pas seulement liées à des métiers datant de l’époque pré-révolutionnaire. Snesarev cite l’exemple de professions nouvelles nées sous le régime soviétique. Par exemple, celle des chauffeurs de taxi de Khiva qui se sont groupés en corporation fermée. Celle-ci possède son propre pir : Hazrat Daud (David)  et les nouveaux chauffeurs ne sont admis dans la profession qu’après la cérémonie rituelle de l’initiation, avec bénédiction rituelle (fatiha) de l’apprenti par l’aîné des maîtres. Une autre profession, celle des mariniers de la flottille d’Amu-Darja a repris les traditions et le rituel de l’antique corporation des bateliers aujourd’hui disparue.

 

 

 

Toujours sur le plan de la vie professionnelle, on trouve encore en Asie Centrale une autre manifestation du passé pré-islamique, avec la survivance de la structure des castes. Il existe encore en effet, au Horezm tout au moins, six professions héréditaires considérées « impures » et qui constituent de véritables castes fermées, ce qui est contraire à l’esprit de l’Islam orthodoxe. Les impuretés qui les définissent sont d’ailleurs toutes d’origine zoroastrienne. Ce sont d’abord les laveurs de cadavres; puis les bouchers parce que le bœuf est un animal sacré pour le zoroastrisme ; leur pir est Gumart-Kassab, c’est-à-dire Gaïomart, le premier homme de l’Avesta. L’impureté des bateliers de l’Amu-Darja vient de ce que l’eau est un élément sacré des zoroastriens, de même que le feu, ce qui condamne les chauffeurs de chaudières, parce qu’ils y jettent des impuretés. Enfin se trouvent encore dans cette catégorie les coiffeurs et les massagistes parce qu’ils coupent cheveux et ongles — éléments impurs aux yeux du zoroastrien.

 

 

 

L’Islam, dans la société soviétique, a connu une évolution assez semblable à celle des autres religions. Comme elle, l’Islam est depuis des années une superstructure liée à une société pré-capitaliste et de ce décalage résulte probablement qu’il perd constamment de son emprise sur la grande masse des croyants et comme religion et comme mode de vie, on constate alors un phénomène de régression de la religion originelle vers des « superstitions » préexistantes. Il en est de même des divers rites chrétiens en marge ou au sein desquels on voit fleurir une multitude de sectes hétérodoxes sur lesquelles la presse soviétique fournit de nombreuses indications. Mais dans le cas de la religion musulmane ce glissement vers la superstition se traduit surtout par un retour à des croyances très antiques refoulées et dominées par l’Islam à l’époque où il régissait toute la vie des fidèles et qui ressurgissent à la faveur de son affaiblissement.

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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