Les Mehara ou Chameaux Coureurs
8 10 2018
Dromadaire Mehara
Le mahari est beaucoup plus svelte dans ses formes que le chameau vulgaire (djemel) ; il a les oreilles élégantes de la gazelle, la souple encolure de l’autruche, le ventre évidé du slougui (lévrier) ; sa tête est sèche et gracieusement attachée à son cou; ses yeux sont noirs, beaux et saillants; ses lèvres longues et fermes cachent bien ses dents ; sa bosse est petite, mais la partie de sa poitrine qui doit porter à terre lorsqu’il s’accroupit est forte et protubérante ; le tronçon de sa queue est court; ses membres, très secs dans leur partie inférieure, sont bien fournis de muscles à partir du jarret et du genou jusqu’au tronc, et la face plantaire de ses pieds n’est pas large et n’est point empâtée ; enfin, ses crins sont rares sur l’encolure, et ses poils, toujours fauves, sont fi ns comme ceux de la gerboise.
Le mahari supporte mieux que le djemel la faim et la soif. Si l’herbe est abondante, il passera l’hiver et le printemps sans boire ; en automne, il ne boira que deux fois par mois ; en été, il peut, même en voyage, ne boire que tous les cinq jours.
Dans une course de ghrazia, jamais on ne lui donne d’orge ; un peu d’herbe fraîche au bivouac et les buissons qu’il aura broutés en route, c’est là tout ce qu’il faut à sa chair ; mais, au retour à la tente, on le rafraîchira souvent avec du lait de chamelle dans lequel on aura broyé des dattes.
Si le djemel est pris de frayeur ou s’il est blessé, ses beuglements plaintifs ou saccadés fatiguent incessamment l’oreille de son maître. Le mahari, plus patient et plus courageux, ne trahit jamais sa douleur et ne dénonce point à l’ennemi le lieu de l’embuscade.
On ne sait point si Dieu créa les mahara, ou si les hommes ayant mis à part leurs chameaux les plus fins et les plus agiles, et leur ayant fait faire alliance entre eux, les produits successifs de ces animaux se sont ennoblis de père en fils, jusqu’à former une race distincte. Ce que mon œil vu, c’est que la race des mahara existe aujourd’hui avec des caractères qui sont à elle.
Algérie – Course des Mehara
Le mahari est au djemel (chameau) ce que le. djieud (noble) est au khreddim (serviteur).
On dit dans le Tell que les mahara font en un jour dix fois la marche d’une caravane (cent lieues) ; mais les meilleurs et les mieux dressés, du soleil à la nuit, ne vont pas au delà de trente-cinq à quarante lieues; s’ils allaient à cent, pas un de ceux qui les montent ne pourrait résister à la fatigue de deux courses, bien que le cavalier du mahari se soutienne par deux ceintures très-serrées, l’une autour des reins et du ventre, l’autre sous les aisselles.
Dans le Sahara algérien, après les montagnes des Ouled-Sidi-Cheikh, les chevaux sont rares, les chameaux porteurs innombrables et les mahara de plus en plus nombreux jusqu’au Djebel-Hoggar. L’automne est la saison où les chameaux sont en amour, et si les Sahariens ne laissent point indifféremment approcher la chamelle par le premier étalon venu, ainsi que les Touareg, ils donnent des soins plus spéciaux encore à la reproduction des mahara. Ces nobles animaux ont, comme les chevaux de race, des ancêtres connus, et leur généalogie n’est point entachée de bâtardise.
La maharia porte douze mois ; son état de gestation n’empêche point toutefois qu’on en use encore pour la course et pour la ghrazia, mais on la ménage progressivement à mesure que son terme approche.
Aussitôt qu’elle a anis bas, on emmaillote avec une large ceinture le jeune mahari pour soutenir ses intestins et pour que son ventre ne prenne point un développement trop volumineux.
Huit jours après, cet appareil est enlevé. Le jeune mahari a sa place dans la tente ; les enfants jouent avec lui, il est de la famille; l’habitude et la reconnaissance l’attachent à ses maîtres, qu’il devine être ses amis.
Au printemps, on coupe tous ses poils, et de cette circonstance il prend le nom de bou-kuetaâ (le père du coupement). Pendant toute une année, le bou-kuetaâ tette autant qu’il veut ; il suit sa mère à son caprice ; on ne le fatigue point encore par des essais d’éducation ; il est libre comme s’il était sauvage.
Le jour de son sevrage arrivé, on perce de part en part une de ses narines avec un morceau de bois pointu qu’on laisse dans la plaie, et lorsqu’il voudra téter, il piquera sa mère qui le repoussera par des ruades, et il abandonnera bientôt la mamelle pour l’herbe fraîche de la saison.
Au printemps de cette année on le tond de nouveau, et il quitte son nom de bou-kuetaâ pour prendre celui de heug(1).
A deux ans accomplis son éducation commence pour première leçon, on lui met un licou dont la longe vient entraver un de ses pieds; on le maintient immobile du geste et de la voix d’abord, de la voix seulement ensuite; on détache alors son pied entravé ; mais, s’il fait un pas, on l’entrave encore ; il a compris enfin ce qu’on veut de lui, et ces leçons n’auront de fi n que s’il reste un jour tout entier, sa longe traînante, à la place où l’aura mis son maître.
Ce premier résultat obtenu, le heug est soumis à d’autres épreuves.
On rive à sa narine droite un anneau de fer qu’il gardera jusqu’à la mort, et dans lequel est attachée la rêne en poil de chameau qui viendra se réunir sur son garrot, en passant de droite à gauche, avec la longe du licou qui passera de gauche à droite. On lui ajuste la rahhala, sorte de selle dont l’assiette est concave, le dossier large et haut, le pommeau élevé, mais échancré de sa base à son sommet. Le cavalier est assis dans la rahhala comme dans une tasse, le dos appuyé, les jambes croisées sur le cou du mahari et assurées par leur pression même dans les échancrures du pommeau. Le moindre mouvement sur la rêne de la narine imprime à l’animal une douleur si vive qu’il obéit passivement; il oblique à gauche, il oblique à droite, il recule, il avance, et s’il est tenté par un buisson et qu’il se baisse pour y toucher, une saccade un peu rude l’oblige à prendre une haute encolure. Qu’un chameau porteur broute sur la route, l’inconvénient n’est pas grand, il a le temps d’arriver ; mais un mahhari doit aller vite, c’est là sa qualité première.
Pour apprendre au heug à s’accroupir, dès que son cavalier lui crie : ch ch ch !… on se fait aider par un camarade qui frappe avec un bâton l’animal au genou au moment où le cri part, et jusqu’à ce que le cri seul obtienne obéissance.
Pour le faire enfin aussi rapide que possible, celui qui le monte lui frappe alternativement les fl ancs avec un fouet en l’excitant par un cri aigu. Le jeune mahari chérit beaucoup sa chair, il part au galop; la douleur le suit, il la fuit plus vite, il passe comme une autruche, ses jambes sont des ailes ; mais, pour ne pas le fatiguer, on l’arrête de loin en loin en tirant sur la rêne.
Si le heug, enfin, sait s’arrêter, quelque vitesse qu’il ait prise, quand son cavalier tombe ou saute de la rahhala ; s’il sait tracer un cercle étroit autour de la lance que son cavalier plante en terre et reprendre le galop dès qu’elle est enlevée, son éducation est complète, il peut servir aux courses ; ce n’est plus un heug, c’est un mahari.
Si les chameaux ne sont pas aussi nobles que les mahara, ils ne sont pas moins utiles. Sans les chameaux, point de relations possibles entre les peuples du Sahara, le Soudan serait inconnu ; nous n’aurions pas d’esclaves, et les croyants ne pourraient point aller visiter la chambre de Dieu : avec seul, le désert n’a pas d’espace, ce sont les vaisseaux de la terre : Gouareub et Beurr. Dieu l’a voulu, et il les a multipliés à l’infini.
Vivant ou mort, le chameau est la fortune de son maître. Vivant, il porte les tentes et les provisions, il fait la guerre et le commerce ; pour qu’il fût patient, Dieu l’a créé sans fiel(2) ; il ne craint la faim ni la soif, la fatigue ni la chaleur ; son poil fait nos tentes et nos burnous; le lait de sa femelle nourrit le riche et le pauvre, rafraîchit la datte(3), engraisse les chevaux : c’est la source qui ne tarit point.
Mort, toute sa chair est bonne; sa bosse (deroua) est la tête de la diffa(4) ; sa peau fait des outres (mezade) où l’eau n’est jamais bue par le vent ni le soleil ; des chaussures qui peuvent sans danger marcher sur la vipère, et qui sauvent du haffa les pieds du voyageur(5) ; dénuée de ses poils, mouillée ensuite et simplement appliquée sur le bois d’une selle, sans chevilles et sans clous, elle y fait adhérence , comme l’écorce avec l’arbre, et donne à l’ensemble une solidité qui défiera la guerre, la chasse et la fantasia.
Ce qui fait la supériorité du mahari, c’est qu’à toutes les qualités qui sont de lui, il réunit toutes celles du djemel. Ce qui fait son infériorité, c’est que son éducation difficile mange pendant plus d’un an tout le temps du maître, et que ceux de sa race ne sont pas nombreux. La beauté ne voyage pas par caravanes.
(1). Vient du verbe hakeuk, il a reconnu, il s’est assuré; ce qui veut dire que le chameau de deux ans commence à être raisonnable.
(2). Les Arabes disent que le chameau n’a pas de fiel, et que de là vient sa patience.
(3). Cette expression proverbiale désignait la nécessité où sont les Sahariens d’atténuer les effets pernicieux de la datte par son mélange ordinaire avec du lait.
(4). C’est le mets le plus recherché que l’hospitalité puisse offrir à des hôtes de distinction.
(5). Ce sont de véritables brûlures que les sables font aux pieds de ceux qui marchent sans chaussures.
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